Marine Karmitz a œuvré dans presque tous les champs du septième art en défendant avec exigence et passion le cinéma indépendant. Le fondateur de la société, Mk2 né à Bucarest, est aussi un grand collectionneur d'œuvres d'art et de photographies dont il a déjà exposé plusieurs spécimens afin d'en partager la beauté avec le public.
Le président de l'association de l'Institut pour la photographie des Hauts-de-France a accepté de prêter des centaines de photographies au Centre Pompidou et de mêler sa collection à celle du musée afin de créer un dialogue visuel racontant l'histoire de la photo à travers deux types de regards. Cela donne Corps à corps, sublime exposition visible au Centre Pompidou jusqu'au 25 mars prochain et réunissant pour la première fois collections privées et publiques en 500 photographies et documents réalisés par quelque 120 photographes.
Marin Karmitz en est le commissaire, aux côtés de la conservatrice de Beaubourg, Julie Jones. Leur collaboration donne lieu à une déambulation vertigineuse entre les représentations photographiques du genre humain au XXᵉ et XXIᵉ siècle.
L’autoportrait
« Je n'aime pas beaucoup les autoportraits. D'ailleurs, il existe très peu d'autoportraits, de photographes, et pas du tout, ou quasiment pas d’autoportrait de cinéaste. Il y a surtout des autoportraits en peinture et j'ai trouvé quelques autoportraits de deux photographes. Mais je ne pense pas que ce soit ce qui est le plus intéressant. En tous les cas, c'est intéressant par rapport à leurs œuvres, mais pas en tant que tel.
Mais ma collection est une espèce d’autoportrait. Je m’y projette vraiment pour 1000 raisons. Ce sont des coups de cœur à chaque fois. C'est une multiplication d'histoires d'amour. Je vis au milieu de mes photos et je leur parle tous les matins. J’ai des dialogues imaginaires comme : « Comment allez-vous aujourd'hui ? Ça s'est bien passé avec votre camarade ? Cette photo de Monsieur Untel ou untel, elle vous convient ? »
Une vocation de photographe contrariée
S’il possède des centaines de clichés d'artistes trouvés, gardés et soignés comme des trésors, Marin Karmitz a eu une vocation de photographe contrariée. Alors qu’il exerçait ce métier pour Libération en 1972, l'ouvrier militant maoïste Pierre Overney a été assassiné devant l'usine Renault de Billancourt où il se trouvait : « Je couvrais les distributions de tracts, ce qui passait devant les usines, en particulier Renault et Citroën. Et j'ai surtout remarqué très vite que chaque fois que j'étais présent, ou que d'autres journalistes photographes étaient présents, la violence latente se déchaînait et tournait à la guerre entre les militants qui distribuent les tracts, les membres des syndicats et les gardiens de l'usine. Je me suis posé des questions sur le rôle que peut avoir un photographe dans ce genre de situation. Et sur le déchaînement de haine que la présence de photographe pouvait susciter ».
Un jour, je n'ai pas pu y aller. On a envoyé à ma place un très jeune photographe Christophe Schimmel pour couvrir l'événement. Et j'avais demandé qu’il soit protégé. Mais le jeune ouvrier désigné pour lui éviter les coups a été tué par le gardien de l’usine qui lui a tiré dessus. Cet ouvrier s'appelait Pierre Overney. À partir de ce jour-là, et surtout de l'enterrement de Pierre qui avait mobilisé des centaines de milliers de personnes dans les rues de Paris, j'ai décidé de ne plus faire de photos. J’ai rangé mon appareil et je ne l’ai plus ressorti depuis. »
La photo une concentration d’informations
« J'ai mis un certain temps à comprendre que la photo, était la possibilité de concentration de la part du photographe telle qu’en une seule photo, il arrive à partir d'une réalité complexe à la rendre complexe ne pas la simplifier et surtout à nous permettre à nous de la complexifier à notre tour par notre regard. Et ça, c'est possible, effectivement, en 1/1000 de seconde. Pour le cinéma, il faut 24 images en une seconde. C'est beaucoup. C'est un mur blanc, une image qui n'existe pas. C’est quelque chose de propre à la photo. Et c'est ça que j'essaye de retrouver dans les photos qui m'intéresse et que je collectionne. »
Pas de photos couleurs
Dans son exposition à Beaubourg, on ne trouve que des images en noir et blanc. Marin Karmitz : « Je n'aime pas les photos couleur. De façon assez simpliste, assez brutale, je pense qu'elles introduisent pour la plupart beaucoup d'anecdotes par rapport au noir et blanc. Le noir et blanc permet de rêver beaucoup plus. Les photos en couleur sont beaucoup plus proches d'une réalité un peu imposée. Sauf certains photographes qui arrivent de repartir dans l’imaginaire. Dans le même ordre d’idées, je n'aime pas qu'on m'explique le contenu d'une photo. La tendance actuelle est à l’ajout des commentaires. Or, je préfère me faire les miens et laisser les spectateurs se faire les leurs. »
Un désir de transmission de l’art photographique
« J’aimerais qu’avec cette exposition les spectateurs prennent du plaisir, qu’ils regardent la photo autrement. Aujourd’hui, avec son téléphone, tout le monde prend des images. Il y a du talent derrière un certain nombre de photographes. Mais les grands photographes, sont très, très rares. C'est aussi rare qu'un grand écrivain, qu'un grand peintre ou qu'un grand cinéaste… Il faut distinguer l'utilisation de la photo de façon un peu utilitariste ou plaisante, ou familiale, et l'homme qui crée quelque chose à partir d'une réalité qui peut être la même pour tous. J’ai découvert ça quand j'étais jeune avec Johan Van der Keuken. On prenait la même photo, la mienne était mauvaise et la sienne était bonne. »
La suite passionnante est à écouter...
L'exposition Corps à corps au Centre Pompidou
Le choix musical de l'invité :
- Leonard COHEN, You Want It Darker
Programmation musicale :
- Pj HARVEY, I inside the old I dying
- Johan PAPACONSTANTINO Ft. Prosper, Mon chat danse