Une avocate interroge sa jeune cliente, qui accuse apparemment quelqu'un de viol sans cligner des yeux, sans donner aucun indice de ce qu'elle pense. La première, d'une froideur impériale, demande à la seconde si elle couche avec beaucoup de garçons. La réponse se fait dans les larmes. L'avocate reste insondable. Est-elle sévère, indifférente, empathique ou les trois à la fois ? C'est justement ce qui est intéressant dans L'été dernier de Catherine Breillat, adaptation du film danois Dronningen réalisé par May el-Toukhy en 2019 et qui sortira le 13 septembre prochain.
Léa Drucker y incarne l'avocate et épouse d'un homme avec lequel elle a adopté deux petites filles et vit un quotidien harmonieux, sans surprise et bourgeois. Tout bascule quand l'adolescent que son mari a eu avec une autre femme fait irruption, suscitant un désir aussi pur que brutal. Dans ce Lolita inversé, Breillat, qui abhorre que l'on parle d'un caractère érotique ou sulfureux de ses films, cadre éperdument les émotions de ses personnages. Léa Drucker y est magistrale, elle est l’invité du Grand Canal.
Un personnage ambivalent dans le dernier film de Catherine Breillat
Dans L’été dernier, le personnage de Léa Drucker est plein d’ambiguïté. Elle apparaît sous différentes formes selon les protagonistes du film. Elle est au départ, circonspecte avec le fils de son mari, tendre avec son mari et froide avec sa cliente. La comédienne interprète un personnage ambivalent et mystérieux : « J’ai vu le film deux fois et ça m'a fait des impressions différentes. Le talent de Catherine Breillat, c’est de laisser la place au spectateur pour interpréter les situations du film. Quand on prépare un rôle, on se pose plein de questions sur le personnage. Et parfois, il y a des révélations, en jouant avec Samuel Kircher pour ce film, ça a donné une nouvelle lumière sur mon personnage. »
Ne pas juger son personnage
Dans une précédente interview, Léa Drucker a dit, ne pas approuver le geste de son personnage, qui va entretenir un rapport charnel avec le fils de son mari : « Avant de commencer à interpréter un personnage comme celui-là, la vraie question, c'est comment je trouve la clé pour pouvoir l'aimer ? Parce qu’il faut que je puisse la justifier pleinement pour pouvoir être crédible. »
Observer le danger du désir
Comme le rappelle Léa Drucker, ce qui traverse tous les films de Catherine Breillat, c'est le désir féminin : « C’est une cinéaste qui est allée très loin dans l'exploration de l'intime et du désir féminin. Si on se place de ce côté-là, de cette exploration-là, la femme que j’interprète n'est pas coupable, elle n’a pas réussi à résister. Elle se laisse tomber dans une passion très dangereuse pour elle, pour lui comme pour toute la famille. »
Catherine Breillat, une cinéaste exigeante
Dans ce film, Léa Drucker campe presque une héroïne de film noir, référence assumée par la réalisatrice : « Le cinéma de Catherine Breillat vous emmène ailleurs. Son cinéma est très contraignant pour les comédiens. Elle vous met dans des contraintes folles parce qu'elle a une exigence visuelle. » Dans L’été dernier, il y a une scène où Samuel Kircher et Léa Drucker sont tous les deux dans l'herbe, il lui fait un questionnaire avec son enregistreur. On découvre cette femme qui est mature tout d'un coup, se mettre à répondre comme si elle avait seize ans. Le spectateur sent qu’elle se reconnecte aussi à un traumatisme ancien sûrement lié à sa première fois, et que le destin lui donne l'opportunité de rejouer son départ dans la vie amoureuse, mais c’est un choix immoral aux yeux de la société : « Ils cherchent tous les deux une clé à leur existence. »
Un film où le thème de la vieillesse tient pour obsession
Dans L’été dernier, il est question de vieillesse jusqu'à l'obsession. Catherine Breillat avait déjà adapté Une vieille maîtresse de Barbey d'Aurevilly avec une Asia Argento ardente. Ici, ce thème ponctue tout le film de Catherine Breillat. Pour la comédienne Léa Drucker, 51 ans, le temps qui passe n’est pas qu’une question de physique : « Le pire pour moi, c’est de perdre l’énergie et la curiosité, l’envie de sortir. »
Devenir actrice
Pendant longtemps, Léa Drucker n’arrivait pas à se projeter en star de cinéma jouant dans des rôles très féminins, très glamour. C’est l’arrivée d’actrice comme Charlotte Gainsbourg, qui font lui montrer que c’est possible : « Je trouvais que les actrices étaient des femmes exceptionnelles et inaccessibles, qui avaient une féminité exacerbée, ça m'impressionnait beaucoup. Je voulais être une actrice et l’arrivée dans les années 80 de jeunes actrices plus proches du quotidien m’ont fait sauter le pas. »
Une rétrospective est consacrée à Catherine Breillat jusqu’au 24 septembre à la Cinémathèque.
Catherine Breillat – L’été dernier