"Dans les années 1920, il y avait un théâtre engagé et divertissant, j'ai essayé de retrouver cet esprit."
C’est une pastorale qui se déroule à Newgate parmi les voleurs et les putains. Écrit en 1716 par l'écrivain Jonathan Swift lors d'une correspondance avec le poète Alexander Pope, c'est leur ami John Gay qui relève le défi de mettre en scène un opéra satirique intitulé "L'Opéra du gueux", première influence du fameux "Opéra de quat'sous" de Bertolt Brecht, écrit en 1928, tandis que Kurt Weill en signe la musique.
Le brillant metteur en scène allemand, Thomas Ostermeier s'empare de la pièce musicale pensée par Brecht contre la critique de l'opéra et dévoile une correspondance entre deux moments de crise à un siècle d'écart. Sa version, celle de la création originale, augmentée de quelques pages inédites et dans une nouvelle traduction, est visible jusqu'au 5 novembre à la Comédie-Française, où il a déjà œuvré. Le directeur artistique de la Schaubühne de Berlin a donné à voir Büchner, Ibsen, Shakespeare, mais aussi Lars Norén, Sarah Kane, Jon Fosse ou encore Didier Eribon, Edouard Louis ou Virginie Despentes.
Lors de la chute du mur de Berlin. Il a 21 ans et une révélation. Des gens habitent de l'autre côté du miroir, en l'occurrence en RDA. C'est leur voix qu'il n'aura de cesse de vouloir faire entendre. Formé à la philosophie de Habermas, Bourdieu et Foucault, il défend un théâtre politique et rêve d'un axe franco-allemand qui permette une Europe plus sociale et culturelle.
Une version contemporaine de l’Opéra de Quat’sous
Thomas Ostermeier met donc en scène L'Opéra de Quat'Sous à la Comédie-Française. C'est une pièce très célèbre en Allemagne. Le metteur en scène fait remarquer qu’il y a souvent un anachronisme dans la période qu'on choisit de montrer et dans les mises en scène précédentes, qui est la période victorienne. Pour cette mise en scène, on retrouve des images projetées sur des écrans où l’on peut voir des enfants ouvriers de plusieurs époques que ce soit en 1936 à Elon Musk. Les vêtements sont aussi importants. Ainsi Elsa Lepoivre, qui joue la prostituée Jenny, porte une banane, et les comédiens ont des portables.
Une pièce en écho à la fin des années 20
Thomas Ostermeier a voulu se concentrer sur la période du XXe siècle où tous les espoirs étaient possibles : « La pièce en elle-même est dans une grande contradiction. Elle décrit à la fois un monde sans espoir. Dans le texte, il est dit que l’homme n’est pas fait pour un changement politique. Brecht, qui était un grand marxiste voulait changer le monde avec le théâtre, mais l’Opéra de Quat’sous a été écrit avant sa fascination pour le communisme, c’est un texte plutôt anarchiste, sombre. À travers cette mise en scène, je voulais effectivement raconter les grands espoirs du début du XXe siècle. La fin des années 20 ressemble beaucoup à notre époque. Aujourd'hui, il y a des crises économiques, de la précarité et aussi la montée du fascisme. Il y a beaucoup de parallèles. »
Pour un théâtre engagé et divertissant
En 1928, Brecht a écrit la pièce L'utopie communiste, une satire de la République de Weimar qui avait en commun avec notre époque un grand progressisme qui était considéré comme acquis, mais qui finalement ne faisait son chemin que chez une minorité avant le fascisme : « Je ne suis pas d'accord avec cette phrase qui dit : l'histoire se répète deux fois. La première, c’est une tragédie, la deuxième, c'est une farce. Je pense que, à nouveau, on vit dans une tragédie. Quand on regarde les sondages en Allemagne, en France et plus largement en Europe, c’est dramatique, ça m'inquiète beaucoup. Pour moi, cette pièce est très engagée, bien plus que chez Shakespeare ou Ibsen. L’enjeu pour moi, c’est que la pièce soit divertissante, mais avec un message politique derrière. Une pièce familiale, amusante, mais avec derrière une critique. À Berlin, dans les années 20, il y avait des gens du théâtre comme Erwin Piscator qui avec La Revue Rouge faisait un théâtre à la fois engagé et divertissant. C’est une forme qui s’est perdue et dont j’essaye de retrouver l’esprit aujourd’hui. »
Un transfuge de classe
Thomas Ostermeier a eu une enfance catholique rigide avec un père militaire : « Nous n’étions pas non plus dans la précarité, mais nous n’étions pas riches non plus. Je me souviens que tous les étés, je voyais partir de ma fenêtre les autres familles. Je portais les vêtements de mon grand frère, ma mère était vendeuse dans un supermarché. Aujourd’hui, je reste très critique sur mon statut. Je côtoie la bourgeoisie, l’intelligentsia avec fascination. Mais je sais que le monde est partagé, que 99 % des gens ont des soucis économiques. Je reste fasciné par les groupes marginaux, ceux de la musique, de la culture populaire. Quand j’ai commencé à faire de l’art, j’étais d’abord musicien et je porte encore cette marginalité en moi. »
L'Opéra de Quat'sous, de Bertold Brecht et Kurt Weill, en hommage à Elisabeth Hauptmann, dans une nouvelle traduction française signée Alexandre Pouteau, sous la direction musicale de Maxime Pascal. Avec : Véronique Vella (Madame Peachum), Christian Hecq (Peachum), Birane Ba (Macheath), Claïna Clavaron (Lucie), Elsa Lepoivre (Jenny), Benjamin Lavernhe (Brown), Marie Oppert (Polly). Jusqu'au 5 novembre à la Salle Richelieu.
Programmation musicale :
- Lescop, Radio
- Queens of the Stone Age, Carnavoyeur
Les choix musicaux de l'invité :
- The Stooges, I wanna be your dog
- Kurt Weill, An den kleinen Radioapparat
La découverte de l'invité :
Les oeuvres de l’artiste peintre Julien Spianti, que Thomas Ostermeier a découvert dans la galerie Hors Champs dans le Marais : http://www.stelin.fr/galerie-hors-champs-com
Générique : création originale de Flavien Berger
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