Un nouveau film qui interroge le deuil et la transmission
Le cinéaste et écrivain Guillaume Nicloux déroute et surprend à chacun de ses projets qui brassent comédie, film noir ou politique, mise en scène du réel, improvisation, épouvante, écriture automatique, provocation absurde ou classicisme. Dans son dernier film, La Petite, avec Fabrice Luchini, Marat taquin et Maud Wyler, adaptation du roman paru en 2019, Le Berceau de Fanny Chesnel, La Petite met en scène un homme, Joseph, qui apprend que son fils et son compagnon viennent de trouver la mort dans un accident d'avion.
Le couple attendait un enfant via une mère porteuse en Belgique, que Joseph va tout faire pour retrouver. Il rencontre alors Rita, jeune Flamande atrabilaire traitant son ventre pour de l'argent. Joseph, ébéniste désargenté et solitaire, ayant peu donné de tendresse à son fils, voit en elle la possibilité d'une transmission, voire d'une bribe de réparation. Le réalisateur de Valley of Love, L'enlèvement de Michel Houellebecq ou encore Le Poulpe interroge le deuil, la transmission et le pari pascalien de la foi dans le réel.
Pour Guillaume Nicloux, la sortie d’un nouveau film est toujours un mélange d’impatience, de contradictions et d’émotions : « C’est toujours paradoxal, j'ai la chance de pouvoir avancer dans mes projets. Je suis actuellement en montage pour un autre film. On a ce désir que le film soit vu par le plus grand nombre et en même temps, on a un pied dans un autre. »
La disparition comme fil rouge de son œuvre
La Petite est un film sur le deuil et l’énigme que les morts emportent avec eux. Une thématique comme un fil rouge de l’œuvre de Guillaume Nicloux. Comme par exemple avec le film Valley of Love, né d’une vision que le cinéaste a eue de son père défunt dans la vallée de la mort : « C’est arrivé deux ou trois ans après le décès de mon père. Je faisais un voyage familial aux États-Unis, au Nevada, je suis resté deux ou trois jours dans la vallée de la Mort. En visitant un canyon, je suis parti tout seul et j'ai effectivement vu mon père. On connaît la puissance du cerveau, on peut fabriquer ce qu'on veut et ça s'imprime sur la rétine, ça a été le moteur de ce film. »
Les films de Guillaume Nicloux ont cette intensité qui remue, déstabilise et parfois même provoque : « J'aime provoquer des émotions, des événements, des rencontres, des états, c’est cette provocation-là, le sentiment d’une vivacité et d’une activité qu'elle soit cérébrale ou corporelle, mais dans les deux cas, en mouvement. J’essaye de concentrer mes films sur le présent. C’est plus difficile, car on a souvent tendance à se projeter dans le passé et le futur, ce qui crée finalement le plus souvent du stress et de l’angoisse. »
Diriger Fabrice Luchini
Dans La Petite, Fabrice Luchini interprète Joseph, un héros tragique qui perd son fils. Il a déjà perdu sa femme, morte d'un cancer. L’acteur est dans une interprétation plus sobre, notamment dans une scène où on le voit, hagard, à l'endroit où il y a toutes les victimes en deuil : « Quand je dirige mes acteurs, j'essaie de ne pas trop rationaliser le carcan psychologique du personnage, de tourner le plus possible et de préserver tous ses silences et ses zones d'ombre. J'attendais beaucoup de Fabrice dans la mesure où je suis son premier spectateur et je découvre avec lui la façon dont il s'empare des événements. Il y a une sorte de fragilité, de fébrilité parce qu'on se dit qu'on invente au moment où les choses se passent. Le cinéma, pour moi, n'a pas l’obligation de verser dans une analyse psychologique. Chaque acteur peut travailler de son côté pour garder leur fraîcheur et me surprendre par la manière dont ils incarnent les rôles. Cette tonalité qu'on essaie de créer ne passe pas par les mots, mais aussi par les intonations, les regards, le climat qu'on installe. Il y a des climats apaisés et d’autre, plus troubles selon l'histoire qu'on raconte. »
Un film qui aborde la GPA
La Petite aborde la GPA, mais sans jugement moral. Ce n'est pas un film militant : « Sur ce sujet, je suis toujours un peu déconcerté et surpris, la GPA concerne environ 300 familles hétéros ou homosexuels qui font cette démarche, ce qui est très peu. Je trouve ça surprenant que des personnes au nom d'une morale, de leur éthique, puissent intervenir pour s'opposer à cette pratique qui peut avoir une législation claire et précise. C'est déjà assez douloureux pour ces personnes. Il y a des pays où ça se passe très bien, et où cette idée de marchandisation des corps est totalement obsolète parce que ça n'a rien à voir. C’est une zone grise, et je pense qu’on n’a pas à avoir un avis tranché sur la question, surtout quand ça ne nous concerne pas. »
Références musicales :
Black Pumas, More than a love song
VOYOU, Les royaumes minuscules
Young M.A. , Big
Le choix musical de l'invité : Barbara Strozzi, « Che si puo fare » , par Raquel Andueza
La découverte de l'invité : la documentariste et réalisatrice Delphine Deloget, dont il est le parrain d’écriture depuis plusieurs années, qui sortira son premier long métrage le 22 novembre, « Rien à perdre » avec Virginie Efira et Mathieu Demy.
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