L'écrivain, critique et essayiste Cécile Guilbert a connu Jack-Alain Léger. Et avec l'intelligence et l'érudition qui caractérisent ses écrits, elle réunit et présente en un volume les œuvres les plus emblématiques de celui qui a mis fin à ses jours en 2013.
L'Opéra du Moi sortira le 7 septembre aux éditions Bouquins, où Cécile Guilbert a également publié le magistral écrit Stupéfiants - Drogues & littérature d'Homère à Will Self. Celle qui affirme que l'art doit admettre l'impureté s'il veut entretenir la flamme de l'esprit critique fait montre d'une cohérence admirable dans sa biographie composée de textes sur Debord, Warhol, Saint-Simon, Bret Easton Ellis, Sade ou encore Sacher Masoch. Jack-Alain Léger parfait ce tableau d'esprit libre. Et l'année 2023 lui rend justice en le sortant un peu de l'oubli avec cette anthologie à laquelle s'ajoute la parution de l'ouvrage Vous direz que je suis tombée. Vie et mort de Jack-Alain Léger, de Jean Azarel, chez Séguier.
Qui était Jack-Alain Léger ?
Comment le décrirait Cécile Guilbert à quelqu'un qui n'a jamais entendu parler de lui ? "C'est un personnage assez torturé, qui pouvait être à la fois adorable, brillant, insupportable d'égocentrisme. Très toxique aussi avec ses amis. Il faut dire que je l'ai connu plutôt à la fin de sa vie, entre 2001 et 2009, pour être précise, et ce n'était pas la période la plus fastueuse ou la plus productive de sa vie. J'ai connu un Jack-Alain Léger très dépressif, et qui souffrait d'une maniaco-dépression. Il était plus dans des phases de dépression que dans des phases maniaques. Il écrivait des livres fantastiques dans ses phases maniaques. C'était quelqu'un d'assez attentionné, d'assez délicat, de très sensible. Un ami qui pouvait être vraiment l'ami parfait, qui vous envoyait des mots après les dîners qui venait quand vous le conviiez, aux vernissages, etc. et qui en même temps était calciné par la haine de soi, assez malheureux avec des revers de fortune considérables. Parce que c'était aussi quelqu'un qui ne vivait que de sa plume, mais qui avait choisi de vivre de sa plume et donc qui a connu à la fois des succès fulgurants et des gouffres non moins profonds."
Les textes de l'édition posthume
Cécile Guilbert parle au micro d'Eva Bester de son travail d'édition, qu'elle trouve important. Elle n'a jamais considéré qu'écrire des livres suffisait. Elle aime tellement les livres qu'elle aime en parler, en faire traduire, en publier, en faire publier. Tout ça fait partie de l'univers du livre qui est pour elle vital, qui est comme une sorte d'oxygène.
Comment a-t-elle procédé pour choisir les textes figurant dans cette édition ? Elle explique que ça n'a pas été facile de choisir ces œuvres parce qu'en fait Jack-Alain Léger sous ses cinq pseudonymes est l'auteur d'une quarantaine de livres qui sont échelonnés de 1969 à 2012, un an avant sa mort, son suicide. Et c'est un auteur qui, si on peut dire qu'il est inégal dans la mesure où il y a des romans qui sont de vrais chefs-d'œuvre et d'autres qui sont peut-être moins brillants, en fait, aucun de ces livres n'est mauvais. C'est quelqu'un qui n'a jamais écrit un seul mauvais livre, selon Cécile Guilbert, donc c'était assez difficile.
Trois des pseudonymes sont réunis dans ce livre. Pour les deux premiers, qui sont quand même des pseudonymes qui n'ont pas donné lieu à une œuvre qu'on relirait forcément, elle a pris un seul titre. Et pour Jack-Alain Léger, elle en a pris quatre qui lui semblent parfaitement représentatifs de son talent. D'abord Monsignore qui est le livre de tous les malentendus, comme l'explique Cécile Guilbert, qui est son grand best-seller écrit pour prouver qu'il était capable d'écrire un best-seller, mais qui n'était pas du tout un livre qu'il considérait comme un sommet de l'art. Mais pour elle, c'est un très grand roman. Elle a aussi choisi Autoportrait au loup : "J'ai pris le seul récit autobiographique qu'il ait écrit, qui est une sorte d'auto-analyse assez douloureuse de son cas psychiatrique et de son histoire familiale, de son roman familial et de tout ce qui, selon lui, explique ce malaise profond qu'il a éprouvé toute sa vie." Elle a aussi sélectionné un autre de ses chefs-d'œuvre, qui est Jacob Jacobi : "le plus virtuose, le plus brillant, celui qui déploie vraiment toute la palette de ce qu'il était, à savoir quelqu'un qui a beaucoup aimé inventer des avatars, se dédoubler, jouer avec les identités et surtout avec toutes les positions qu'on peut occuper en tant qu'écrivain dans le monde littéraire" En plus de jouer avec toutes ces dimensions, c'est un faux polar, parce qu'il aimait beaucoup jouer avec les genres littéraires aussi. Et puis le dernier livre qu'elle a choisi est Ma Vie (titre provisoire) : "assez représentatif de sa veine soi-disant pas en forme, mais qui en fait montre quand même sa virtuosité (...), un livre de crise et qui est en même temps un livre très sophistiqué et qui montre qu'il pouvait même, au fond de la dépression et de la crise, retomber sur ses pattes."
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Références
Générique : une création originale de Flavien Berger
Le choix musical de l'invitée : Janis Joplin, Summertime
La découverte de l'invitée : la salle ovale de la bibliothèque Richelieu, nouvellement rénovée, à Paris