Leili Anvar transmet avec générosité, érudition et enthousiasme la grâce et le raffinement extrême de la culture iranienne. On lui doit notamment une traduction en vers du Cantique des oiseaux, d'Attar, ainsi qu'une traduction de Leyli et Majnûn, de Nizami, tous deux illustrés par des miniatures d'Orient, aux éditions Diane de Selliers. Elle a aussi publié une anthologie aux éditions Bruno Doucet, sous le titre Le cri des femmes afghanes, dans laquelle elle traduit les écrits des femmes d'Afghanistan qui trouvent dans la poésie un nouvel espace de liberté. C'est de poésie dont il est le plus question dans cette émission.
Leili Anvar a vécu en Iran jusqu'à ses 15 ans et y est retournée quelques fois depuis. Elle raconte : "Régulièrement, j'ai accompagné des voyageurs. J'ai fait des voyages culturels ou spirituels pendant très longtemps, plusieurs années de suite et toujours avec une joie sans pareille de retrouver cette terre, ce pays, ces monuments. Et j'ai beaucoup de chagrin depuis quelque temps du fait que je ne peux pas y retourner. Et j'ai peut-être encore infiniment plus de chagrin quand je vois les images de ce pays en proie à une crise écologique absolument phénoménale. La sécheresse menace même l'existence d'Ispahan parce que la ville risque de s'écrouler par l'assèchement des nappes phréatiques."
La langue et la poésie, porteuses de l'identité profonde
Pour Leili Anvar, cette langue persane, cette poésie persane, c'est véritablement sa patrie, c'est-à-dire que la terre qu'elle a perdu, elle peut la remplacer par quelque chose qu'elle peut emporter partout où elle ira. C'est la langue, c'est la poésie, c'est tout ce qu'elle a emmagasiné aussi comme contes et légendes. Elle raconte : "Tous les Iraniens, toutes les Iraniennes qui vivent en Iran ou dans la diaspora ont cette conscience qu'en fait, il faut qu'ils préservent cette littérature. Il faut qu'ils la mémorisent, non pas parce qu'elle va disparaître, parce qu'il y a des livres qui sont imprimés, mais parce que c'est notre lien avec ce qui fait de nous des Persans, et donc profondément cette poésie, elle est porteuse de l'identité profonde des Iraniens ou des Persans. Mais quand je dis iranien, j'entends par là tous ceux qui participent de cette civilisation qui est bien plus vaste, qui s'étendait sur un territoire bien plus vaste que ce qu'on appelle aujourd'hui l'Iran."
Adolescente, alors que la guerre contre l'Irak faisait rage, Leili Anvar a lu l'intégralité de la bibliothèque de sa mère. La littérature française fut une révélation pour elle. Et puis son père l'emmenait dans des cercles de lecture de poésie persane. Elle explique ainsi ce qu'est la notion intéressante de grâce forcée : "Il vous arrive des choses qui, en apparence, sont négatives. Là, en l'occurrence, j'ai été séparée de ma mère. J'étais restée seule. Il y avait la guerre, les bombardements, etc. Il n'y avait plus d'école. Mais au fond, après je me suis rendu compte que ça avait été infiniment précieux puisque c'est pendant cette année-là que mon père m'a transmis la poésie persane et que ma mère, bien qu'absente, m'a invitée dans sa bibliothèque. Et peut-être que c'est ça qui a fait de moi une passionnée de la traduction."
Leili Anvar explique qu'il y a presque autant de poètes que d'Iraniens dans l'Iran d'aujourd'hui. Les femmes sont particulièrement actives sur les réseaux : "Je suis beaucoup de jeunes femmes qui sont souvent d'ailleurs sous des pseudonymes et ont des comptes Instagram ou des comptes Facebook, etc. Non seulement elles donnent leurs poèmes, mais elles les déclament avec des voix magnifiques, avec des musiques. Parfois elles chantent, mais très souvent elle les déclament tout simplement. Je suis cela avec avidité et je suis absolument enchantée de voir que cette créativité continue et que rien ne saurait les faire taire. Les poèmes, pas seulement chez les femmes, c'est notre mode d'expression. Et je crois que vraiment, c'est comme ça dans beaucoup de pays mais particulièrement en Iran, que la poésie, c'est l'espace de liberté, c'est l'espace dans lequel on peut dire les choses."
-> Pour en savoir plus, écoutez l'émission...
Bibliographie :
Leyli et Majnûn, de Nizami, éditions Diane de Selliers, 2021
Le cantique des oiseaux, de Farid-ud-Dîn 'Attâr, éditions Diane de Selliers, 2016
Le cri des femmes afghanes, de éditions Bruno Doucey, 2022
Roja Chamankar, Dans ma chevelure et Je ressemble à une chambre noire, éditions Bruno Doucey
Programmation musicale :
- LUIDJI - Bahia
- Dary Dâdvar - "do zolfouné siâh dâri"
- Homayoun Shajarian - Tansife Morghe Sahar
- THE NATIONAL - Eucalyptus