Pour clore cette saison, quoi de mieux que de terminer sur une touche d’espoir, tant qu'il y en a encore... Cette année ne fut pourtant pas rose, une fois de plus, et c’est peu de dire que les sources d’espoir semblent être minces voire nulles. Comment, en effet, ne pas désespérer face aux désastres du monde et à ce qui ressemble à une répétition tragique de l’histoire ? Et même, ne serait-ce pas faire preuve d’aveuglement ou de naïveté que de garder espoir dans un contexte aussi trouble et troublé ?
Dans ce premier épisode, Aïda N'Diaye et ses invités vous proposent de cheminer avec Blaise Pascal (1623-1662), dont on vient de fêter les 400 ans de la naissance il y a tout juste une semaine et qu’on associe davantage au désespoir qu’à l’espoir. En effet, chez Pascal, ce ne sont pas seulement les circonstances qui sont désespérantes, mais aussi la nature humaine, corrompue et déchue, et la vie humaine que Pascal résume ainsi : inconstance, ennui, inquiétude. Comment alors garder espoir et ne pas sombrer dans le fatalisme, le découragement ou le cynisme face au néant de notre être ? Et cet espoir est-il également accessible aux athées ? Bref, peut-on parier sur l'espoir avec Pascal ?
Une espérance qui coïncide avec la vie
Au XVIIe siècle, "être désespéré" signifie "se suicider". C'est pourquoi Alberto Frigo précise que, lorsque Pascal invite ses lecteurs à ne pas désespérer, "il les invite à persister dans une espérance qui coïncide avec la vie elle-même." Issu d'un fragment des Pensées, le célèbre pari pascalien consiste à comprendre "qu'on ne parie pas et qu'on ne commence jamais à parier puisqu'on est déjà dans un jeu. Il reste juste à comprendre que la chose sur laquelle on mise, c'est la bonne espérance, celle qui change déjà notre vie d'ici-bas". Ce n'est donc pas "une espérance au futur, autrement dit l'espérance n'est pas un terme qui se dit à l'avenir pour Pascal", explique Alberto Frigo.
De l'espoir au bonheur
En raison de sa description de la nature humaine corrompue et déchue par le péché originel, on associe plus volontiers Pascal au désespoir. En réalité, comme le commente Pierre Manent, "tous les hommes désirent être heureux, même ceux qui vont se pendre, car il n'y a pas de désir de bonheur qui ne soit pas accompagné d'une certaine espérance." L'être humain est dans une "disposition expectante". C'est tout l'enjeu du pari pascalien : "le pari pour Dieu, en tout cas pour le Dieu chrétien, qui promet une infinité de vies infiniment heureuses, ne fait qu'accomplir cette disposition de l'être humain désirant et attendant le bonheur." La condition ordinaire des hommes consiste à "parier sa vie", autrement dit à "donner sa vie dans l'espérance d'un bien que l'on espère."
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Pour en parler
Pierre Manent, directeur d’études honoraire à l’EHESS.
Il a notamment publié :
Alberto Frigo, professeur d’histoire de la philosophie moderne à l’université de Milan. Il a consacré plusieurs travaux à Pascal, à Montaigne et aux rapports entre théologie et métaphysique à l’âge classique.
Il a notamment publié :
- Deux monographies consacrées à Pascal : L’évidence du Dieu caché. Introduction à la lecture des “Pensées” de Pascal, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2015 ; L’esprit du corps. La doctrine pascalienne de l’amour, éditions Vrin, collection Bibliothèque d’Histoire de la Philosophie, 2017.
- Il a également édité la correspondance de Montaigne (éditions Le Monnier, 2010) et il vient d’achever l’édition de la Théologie naturelle de Raymond Sebond (original latin et traduction française de Montaigne, 2 vol., éditions Classiques Garnier, 2022).
- Ses deux derniers essais sont consacrés à la philosophie de la peinture (L’expérience peinture. Le temps, l’intérêt et le plaisir, Fage, 2020) et à l’histoire des idées (Charité bien ordonnée, de Saint Augustin à Goethe. Six études, éditions du Cerf, 2021).
Références sonores
- Extrait du film Conte d’hiver, réalisé par Eric Rohmer en 1991.
- Extrait du téléfilm franco-italien Blaise Pascal, réalisé par Roberto Rossellini en 1971. Avec Pierre Arditi dans le rôle de Pascal.
- Lecture par Caroline Pernes d'un extrait de Blaise Pascal, "Image d’un homme qui s’est lassé de chercher Dieu", Pensées (1670), fragment 229 aux Éditions Sellier.
- Extrait du film Ma nuit chez Maud, réalisé par Eric Rohmer en 1969.
- Lecture par Caroline Pernes d'un extrait de Blaise Pascal, "L’économie du monde", Pensées (1670), fragment 94 aux Éditions Sellier.
- Chanson de fin d'émission : Ophélie Winter, "Dieu m'a donné la foi", une chanson tirée de l'album No Soucy ! (1996)
Le Pourquoi du comment : philosophie
Toutes les chroniques de Frédéric Worms sont à écouter ici.