Syracuse

Le philosophe et médecin Georges Canguilhem fut l’un de ceux qui ont précisément remis, au XXème siècle, le malade au centre de la médecine. Plus fondamentalement encore, Canguilhem nous invite à nous poser des questions actuelles. Qu’est-ce que la santé ? Comment distinguer le normal du pathologique ? En quoi la santé est-elle normale ou normative ? Enfin, est-ce la vie même qui est normative ou n’est-ce pas plutôt le social, à moins que ce ne soit les deux ? Aïda N'Diaye en parle ce matin avec ses invités : Elodie Giroux et Guillaume Le Blanc.

L'évidence de la santé

Paraphrasant Saint-Augustin, Guillaume Le Blanc explique que s'il existe une "évidence de la santé", dès que l'on essaie de la définir, "elle nous échappe". Elle ne peut en effet être réduite à des critères,  car cela reviendrait à la considérer comme "une norme, une moyenne". Or, il affirme qu'il n'y a "de santé qu'individuelle". Dans La santé : concept vulgaire et question philosophique (1988), le philosophe Georges Canguilhem rejetait ainsi la possibilité d'une "science de la santé". Selon lui, "la santé est un concept populaire", c'est-à-dire qu'elle résulte davantage d'une appréciation, d'un "sentiment d'être en bonne santé" que d'un savoir. "La santé est vécue de manière populaire, individuelle", et cette évidence sert de "réserve pour toutes les actions que nous pouvons entreprendre".

"L'absence de norme, c'est la mort"

Pour Georges Canguilhem, la maladie n'est pas anormale, au sens où il s'agit encore d'une norme, bien que "réduite". Au contraire, "l'absence de norme, c'est la mort". Elodie Giroux insiste sur la "dimension dynamique", irréductible à "une norme fixe" par laquelle le philosophe envisage la vie. De fait, on ne peut pas poser un critère de la bonne santé se réduisant à un "niveau de pression artérielle", par exemple. La norme est toujours dynamique, "elle se définit en relation avec l'environnement", le milieu des individus. Elle se construit par ailleurs au sein d'une "certaine irréversibilité du vivant", puisqu'on ne peut pas "revenir à l'état antérieur". Au fur et à mesure de l'histoire, "la vie d'un individu évolue", de même que les normes qui l'accompagnent.

L'émission est à écouter dans son entièreté en cliquant sur le haut de la page.

Pour en parler

Elodie Giroux : professeure des Universités en philosophie des sciences et de la médecine à l’université Jean Moulin Lyon 3. Agrégée et docteure en philosophie, formée en épidémiologie, sciences politiques et psychologie clinique.

Elle a notamment publié :

• Naturalism in the philosophy of Health, éditions Springer, 2016
• Philosophie de la médecine, Santé, Maladie et Pathologie, co-écrit avec Maël Lemoine, éditions Vrin, 2012
• Après Canguilhem, définir la santé et la maladie , P.U.F., 2010
• Le normal et le pathologique, des catégories périmées, sous la direction de Mathieu Arminjon, Céline Cherici et Pierre-Olivier Méthot, éditions Matériologiques, 2022

Guillaume Le Blanc : professeur de philosophie à l’Université de Paris, directeur du Laboratoire du changement social et politique et membre du comité de rédaction de la revue Esprit.

Il a notamment publié :

• La Vie humaine : Anthropologie et biologie chez Georges Canguilhem , éditions PUF, 2002

Références sonores

• Hippocrate, saison 1, épisode 1, série créée par Thomas Lilti, 2018
• Archive de Georges Canguilhem par Alain Badiou à la BNF pour RTS, 1965
• Lecture par Riyad Cairat d'un extrait de Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique, P.U.F, 1966
• Archive d'une conférence de Catherine Vidal "Est-ce que le cerveau a un sexe?" pour TedX Paris, janvier 2011
• Interview de Manon Vialle, sociologue au LEST, avril 2023
• Chanson de fin d'émission : "La fièvre" par Suprême NTM (1995)

Le pourquoi du comment : philosophie

Toutes les chroniques de Frédéric Worms sont à écouter ici .