Le cercle des neiges - la sociedad de la nieve en version originale - est sorti directement sur Netflix, et raconte cette histoire incroyable, celle des quelques passagers d’un petit avion qui ont survécu à un crash dans la Cordillère des Andes, notamment, c’est le fait le plus rapporté, sans doute le plus saillant, en mangeant les corps de leurs compagnons morts.
Sur le papier, ça fait très peur à tout point de vue : le cumul crash d’avion + montagne enneigée, pour moi, on est sûr du cauchemar au carré, et puis ce genre d’histoire dans un film Netflix, prompt à simplifier, lisser, créer de l’effet pour pas grand-chose : je craignais le pire. Et puis j’ai vu le film sélectionné pour ouvrir la Mostra de Venise, ensuite être nommé pour représenter l’Espagne aux prochains Oscars dans la catégorie “meilleur film étranger”, enfin se trouver gratifié de bonnes critiques ici ou là.
Alors, je me suis lancée dans le Cercle des Neiges, et je dois dire que j’ai été assez impressionnée par ce film, qui sans mauvais jeu de mots, parvient à se tenir en équilibre sur une toute petite ligne de crête entre d’un côté la grandiloquence et la mystique, et de l’autre, un sensationnalisme bon teint. Alors qu’est-ce que ça raconte : le 13 octobre 1972, un petit avion avec à son bord une toute jeune équipe de rugby uruguayenne et quelques personnes de leur entourage s’écrase dans les montagnes enneigées entre l’Argentine et le Chili. Une partie meurt sur le coup, une autre parvient à survivre des semaines durant dans des conditions extrêmes : le froid, la faim, les multiples blessures, l’agonie de certains, le désespoir contre lequel il faut lutter. Le film colle absolument à ses personnages, de jeunes hommes pour la plupart, qui remettent en place des hiérarchies, des rôles pour chacun - en espagnol le titre, c'est “sociedad”, et on sent que c’est vraiment ce qui intéresse le réalisateur : montrer comment dans ces conditions inhumaines et en tous points anormales, se définissent des emplois, se modalise un fonctionnement social. Certains sont des soignants, certains des marcheurs, d’autres des bricoleurs, d’autres encore des aides spirituelles ou psychologiques, d’autres, enfin, ont la charge de découper les corps pour aider le groupe à survivre.
Ligne de crête
L'anthropophagie, c'est ce qu’on a surtout retenu de cette histoire et le film s’en sort avec brio : en n'éludant pas la question, mais en ne faisant pas le cœur, ni de la narration, ni des enjeux moraux qu’il déploie par ailleurs volontiers : la question de manger son prochain est autant thématisée comme une question pratique, au même titre que les autres moyens déployés pour survivre, que comme un enjeu philosophique : à cet égard les dialogues sont à la fois d’une crudité et d’une pudeur extrêmes, quand dans la carlingue le groupe aborde la question en quelques mots simples : “il faut manger”, “je préfère mourir plutôt que de”, “personne n’aurait voulu ça”. Il faut préciser que plusieurs de ces jeunes hommes étaient catholiques, une scène première, avant le crash, les montre dans l'église de leur paroisse, et quand certains meurent, on voit les autres ôter délicatement de leurs cous des chaînes et croix en or.
Le film prend tout ça très au premier degré, dans une mise en scène pas spectaculaire, mais empathique, à hauteur de jeune homme - il s’autorise quelques plans larges sur les restes de l’avion échoué dans une mer de blanc, mais reste principalement collé aux visages juvéniles dévorés par le soleil et les gerçures, et les membres ballants, impuissants, qui s’amaigrissent.
S’articulent là la fiction réaliste et la fable politique, le film de survie (le survival) et la robinsonnade, l’un garantissant sans cesse les excès de l’autre. Dès que la mystique ou la morale pointent, le film passe à une scène de fabrication de duvet, ou de bidouillage de batterie électrique, et inversement. C’est dans cette manière délicate de tout tenir que le film trouve une forme d’humanisme assez saisissant.