A Paris, Christian Schiaretti se méfie d’un succès trop prompt, et se sent mal à l’aise dans le milieu théâtral qu’il fréquente alors. Travaillé par ce qu’il a appris auprès de ses professeurs au conservatoire, et notamment Bernard Dort, il refuse d’être envisagé comme un créateur, et n’envisage de carrière théâtrale que dans une perspective politique et esthétique précise: être au service des textes, dans une pratique populaire et décentralisée.
Je suis un interprète pas un créateur. (...) Je considère que l'effacement est utile dans la réalisation collective de l'acte théâtral.
"J'avais le sentiment d'un centralisme parisien auquel je voulais échapper"
En 1991 à l’âge de trente-six ans Christian Schiaretti est nommé directeur du Centre Dramatique National de Reims. Il est alors le plus jeune directeur d’une telle institution. Soulagé d’avoir quitté Paris, et plein d’ambitions, son premier geste est de rebaptiser le théâtre en “Comédie”.
Le premier geste de la décentralisation pour un homme de théâtre, c'est le départ et il faut toujours interroger sur ce que l'on quitte et non pas là où l'on va. C'est fondamental, à mon sens, cette notion de partir et j'en avais soupé de ce monde parisien dans lequel j'étais brillant d'ailleurs, et où je connaissais les arcanes.
Il y fonde une pratique résolument tournée vers le répertoire, dominée par son goût pour la farce, pour le baroque, et pour les grands écrivains du 20e siècle. C’est pour lui un moment de réflexion sur le texte théâtral, sur la poésie et le vers. Deux grands pôles ne cesseront de l’occuper : Paul Claudel d’une part, et Charles Péguy, dont le mysticisme et la radicalité résonnent avec ses propres obsessions et contradictions.
Qui va proposer un vers libre alternatif à la métrique classique ? C'est Claudel qui l'apporte. Claudel est le plus grand auteur baroque contemporain français. Il interroge notre héritage littéraire. Dans tout mon parcours, je n'ai cessé d'interroger au travers des textes choisis, soit un répertoire qui percutait ce qui était admis dans la notion de répertoire contemporain.
"Ma vérité est dans la mise au service de la qualité du texte"
Christian Schiaretti est athée, mais fasciné par la transcendance; il parle volontiers de certains textes de théâtre comme de textes sacrés, et de son métier, ou de celui des acteurs, comme de sacerdoces.
Une figure notamment le hante, celle de Jeanne, dont les différentes versions littéraires jalonnent sa carrière, et qu’il met en scène dans des dispositifs très différents, à l’image de la variété technique qu’il déploie: du théâtre d’objets comique à un théâtre beaucoup plus épuré. Le texte est toujours au centre, qu’il soit de Césaire ou de Badiou, la technique vient après, et ne doit pas prendre le dessus.
Je trouvais juste d'interroger la figure de Jeanne, la figure de Jeanne. C'est une Antigone française, c'est une figure féminine sublime. (...) C'est le spectacle qui me ressemble le plus. (...)
Je décide d'utiliser ce qu'il y a sur le plateau, c'est à dire la ruse du pauvre. Pour narrer, on utilise le matériau en question qui est sur le plateau et l'outillage qui est principalement en ferraille. (...) Jeanne d'Arc est une jeune fille dans le fer, donc on utilise des matériaux en ferraille pour raconter l'histoire de Jeanne.
Une série d'entretiens proposée par Lucile Commeaux. Réalisation : Franck Lilin. Prise de son : Georges Thô. Attachée de production : Daphné Abgrall. Coordination : Sandrine Treiner.
Bibliographie
Christian Schiaretti, Pour en finir avec les créateurs, Atlande, 2014.
Liens
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