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Teresa Ribera: "L'extrême droite a un discours agressif, plus destructeur que constructif"
Edité par France 24 - 2024
La question du niveau de vie des agriculteurs est "très importante" pour Teresa Ribera : "L’agriculture est fortement menacée par le changement climatique, la sécheresse, l'érosion des sols. [...] Ce qui nous a manqué – et on doit faire beaucoup plus d’efforts là-dessus – c'est accompagner le secteur. [...] Les agriculteurs ont un sentiment d'oubli auquel il faut faire attention, [...] et travailler à préserver leur capacité à gagner leur vie de manière digne et simple, pas seulement avec des régulations, mais avec des politiques spécifiques, un dialogue beaucoup plus fluide." Faire une pause réglementaire en matière environnementale ne serait "pas une bonne idée", estime la ministre de la transition écologique, même si elle convient qu'"il y a des problèmes autour du Pacte vert, qui n’est parfois pas très bien compris".
Ce Pacte Vert, initié par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dès 2019 et dont elle a fait la priorité de son mandat, est en effet vivement critiqué par les partis de la droite et de l’extrême droite européenne. L’Espagne ne fait pas exception, le parti Vox, qui siège parmi le groupe des Conservateurs et Réformistes européens au Parlement européen, l’accuse de vouloir détruire l’agriculture ibérique. Pour Teresa Ribera, "il y a [chez les agriculteurs] un sentiment de colère très fort, et c’est sur cette colère que l’extrême droite peut jouer de manière déloyale. [...] Les politiques autour de la surveillance des prix, la capacité d'assurer un avenir pour les jeunes qui veulent rester dans le domaine agricole, sont beaucoup plus efficaces que de dire qu’on n'aime pas les éléments de politique verte qui viennent de l'Europe."
Pour la ministre espagnole, une chose est claire : "Il faut faire très attention à ne pas oublier le Pacte Vert !" Avant même la grogne agricole, l’un des textes du Pacte, qui prévoyait une baisse de 50 % de l’usage des pesticides d’ici 2030, a été vilipendé par la droite et l’extrême droite. La Commission européenne l’a finalement enterré en janvier, au grand dam de la ministre espagnole de la transition écologique, qui rappelle que "la relation de l’agriculture à la chimie et aux pesticides a des effets importants sur la santé des personnes, mais aussi des sols", ajoutant qu'il convient d'accompagner le secteur et s’engager "pour une transformation de notre modèle économique vers quelque chose qui fait sens d'un point de vue écologique. Autrement, on dépendra beaucoup plus des autres, ou d’activités qui ne sont pas liées à l'agriculture. Ce n'est pas bon, non plus."
L’Espagne, l'un des pays les plus méridionaux de l’UE, subit de plein fouet le changement climatique, et les pénuries d’eau se font de plus en plus fréquentes. "Le changement climatique veut dire que la disponibilité de l'eau change : il peut y avoir des inondations ou il peut y avoir des sécheresses terribles. [...] On doit développer des plans d'anticipation et d'adaptation à ces situations climatiques différentes, mais il faut en plus compter sur des mesures d'urgence", constate Teresa Ribera. La Catalogne connaît une sécheresse sans précédent, et le 1ᵉʳ février dernier, le gouvernement régional a déclaré l'état d'urgence, imposant des restrictions d'eau aux habitants, aux entreprises et aux agriculteurs. Paradoxalement, dans la Sierra Nevada andalouse, région qui connaît la pire sécheresse de son histoire, les canons à neige fonctionnent à plein pour permettre aux stations de ski comme Monachil de vivre de leur commerce. "La Sierra Nevada est le coin de l'Espagne avec les secteurs les plus importants de la péninsule ibérique. Le nombre de jours d’enneigement diminue chaque année, mais il y a encore la possibilité d’aller skier. Mais ça ne va probablement pas durer très longtemps". Teresa Ribera plaide donc pour une transformation, une transition vers de nouvelles activités "avec une compréhension et une participation sociale, pas une interdiction. Mais par contre, mon pari ne serait pas d'investir plus, même s'il y a des gouvernements locaux et régionaux qui le demandent. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée", développe la ministre de la transition écologique.
L'Espagne fait partie des bons élèves en matière d’énergies vertes : en 2023, 50 % de l’électricité produite sur son sol venait du renouvelable, avec des coûts de production très bas, "et ça sera de plus en plus une réalité", nous affirme Teresa Ribera. "Mais la connexion avec le reste de l’Europe est encore très faible" et pour conserver ces prix bas, les gouvernements espagnol et portugais ont mis en place une "exception ibérique", entre mi-2022 et fin 2023, avec l'aval de Bruxelles : un plafonnement du prix du gaz qui limite les coûts d’exploitation répercutés sur le marché de gros de l’électricité par les centrales alimentées en gaz, permettant ainsi à l’Espagne de faire 15 % à 20 % d’économie sur la facture d’électricité : "Ça nous a permis de garder un prix qui reflétait beaucoup plus les coûts réels de production de l'électricité et pas les bénéfices extraordinaires des compagnies électriques dus au prix du gaz." Cette mesure a fait des jaloux en Europe, et certains pays auraient bien voulu la mettre en place chez eux, mais Bruxelles l'a refusé, en raison de leur interconnexion.
Les sondages sont clairs, si le Parti populaire européen et les sociaux-démocrates gardent l’essentiel de leurs sièges aux prochaines élections européennes de juin 2024, ils font apparaître une montée de l’extrême droite des groupes des Conservateurs et Réformistes et Identité et Démocratie, qui pourraient gagner entre 15 et 30 sièges chacun. "C'est assez inquiétant de voir ces sondages qui nous montrent un virage vers l’extrême droite, qui a un discours agressif, plus destructeur que constructif". Pour elle, "Les messages de l’extrême droite sont des arguments pour défaire l’Europe ou défaire les politiques qui ont amélioré nos vies. Mais on doit revenir à pourquoi on avait besoin de l'Europe : parce qu'on voulait un projet en commun qui pouvait garantir des propositions de bien-être pour tous les Européens. Et c'est un projet largement réussi. [...] Mais il reste encore des choses à faire, et on ne peut résoudre aucun défi seul. On a besoin d'être ensemble."
Le 1er octobre 2017, les Catalans se sont rendus aux urnes pour voter l’indépendance de la région lors d’un référendum rapidement jugé illégal par le tribunal constitutionnel. Neuf représentants politiques indépendantistes à l’origine de ce référendum seront par la suite jugés coupables de sédition et détournement de fonds publics, puis incarcérés. À la tête de ce mouvement, Carles Puigdemont, alors président de la généralité de Catalogne avec le parti Junts per Catalunya, échappe à l’incarcération : il se réfugie en Belgique, qui ne l'extrade pas, et il est élu député européen en 2019.
En juillet 2023, le président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez convoque des élections anticipées, dont le résultat sera très serré. En septembre, après l’échec du chef du Partido Popular, Alberto Nuñez Feijoo, à former un gouvernement, c’est à Pedro Sanchez que la tâche incombe. Après d’âpres négociations, il propose une loi d’amnistie aux indépendantistes catalans afin qu’ils se rallient à sa coalition, lui assurant ainsi une majorité nécessaire pour former son gouvernement. Ce qui fut dit fut fait, et la loi est présentée au Parlement le 30 janvier dernier. Coup dur pour Pedro Sanchez : elle est retoquée. "C’est une erreur majeure !", regrette la vice-présidente du gouvernement espagnol, "on a essayé de proposer un texte qui permette de mettre un point final à cette situation, une proposition de coexistence des Espagnols et des Catalans dans le cadre de la constitution et des lois européennes. [...] Une majorité de Catalans, y compris les indépendantistes, soutenaient le texte. Seul un petit groupe d’entre eux ne l’a pas soutenu, ainsi que des députés de la droite et de l’extrême droite, qui voulaient qu’elle aille plus loin."
Un nouveau texte est dans les mains de la commission de la justice, qui étudie les amendements apportés par Carles Puigdemont et son parti, "pour voir s’il peut encore fonctionner", espère Teresa Ribera. Il sera présenté et soumis au vote dans les mois qui viennent.
Émission préparée par Perrine Desplats, Johan Bodin, Isabelle Romero, Sophie Samaille, Emma Guillaume et Anaïs Lavielle