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Hadja Lahbib: "La Hongrie ne doit pas s’isoler et être du mauvais côté de l’Histoire"
Edité par France 24 - 2024
Avec les élections européennes de juin 2024, la Belgique n’hérite pas d’une période facile pour sa présidence, mais il en faut plus pour inquiéter celle qui a été reportrice de guerre en Afghanistan. "J’aime les défis, et c'est quelque chose qui ne se refuse pas", ouvre Hadja Lahbib, à la tête de la diplomatie belge depuis juillet 2022.
La guerre en Ukraine continue et continuera d’occuper les Vingt-Sept. Un sommet extraordinaire est d'ailleurs prévu le 1er février pour discuter d'un plan d’aide de 50 milliards d’euros sur quatre ans à destination de Kiev, au point mort depuis décembre dernier en raison du blocage de la Hongrie de l’ultranationaliste Viktor Orban.
Hadja Lahbib se veut optimiste : "Nous sommes persuadés, dans notre immense majorité, que nous ne pouvons pas lâcher aujourd'hui l'Ukraine. Parce que si on la lâche, c'est notre sécurité, nos démocraties, notre système de valeurs et le droit international qui sont en danger [...]. Nous voulons croire que la Hongrie sera avec nous dans un avenir proche et que le Conseil du 1er février sera fructueux et qu'elle se ralliera à cette immense majorité puisqu'elle est isolée [...]. Le président Zelenski a déposé un plan de paix en dix points auquel 80 pays ont adhéré à Davos, dont le Brésil et l'Inde. Il ne faudrait pas que la Hongrie s'isole et soit du mauvais côté de l'histoire."
De son côté Viktor Orban propose de diviser la somme en plusieurs parties, versées annuellement, afin de pouvoir faire jouer son veto à chaque fois. Pour contourner le problème, certains dirigeants européens envisagent un accord à 26, c'est-à-dire hors du budget. Mais pour Hadja Lahbib, "il n'y a qu'une seule solution, c'est que les Vingt-Sept se mettent d'accord [...]. J'ai assisté depuis un an et demi à des débats vifs, qui évidemment entraînent des intérêts extrêmement divergents, et c'est normal. Mais je suis persuadée que nous y arriverons [...] et j'espère qu'on renforcera encore l'Union européenne, qui a justement besoin d'être plus unie que jamais face à un monde de plus en plus polarisé et polarisant."
Par ailleurs, la Hongrie attend encore le versement de 20 milliards d’euros issus du plan de relance, toujours retenus pour sanctionner les écarts de Budapest sur l’état de droit, qui est l"une des "priorités" de la présidence belge : "À l’heure où on observe un recul des valeurs démocratiques, des libertés fondamentales, de l’indépendance de la justice et des médias, on ne peut pas badiner avec l’état de droit ! Et tant que la Hongrie ne fera pas les efforts nécessaires, les fonds ne seront pas débloqués."
Le commissaire à l'industrie, le Français Thierry Breton, propose que la prochaine Commission dote l'UE d'un fonds de défense de 100 milliards d'euros pour développer des infrastructures communes. Pour la ministre, "il est plus que souhaitable que l’Union européenne se coordonne et ait une véritable industrie de la Défense". Car dans ce domaine, les dépenses des pays-membres représentent sont aujourd'hui supérieures à celles de la Chine et trois fois plus importantes que celles de la Russie, "mais on est moins efficace parce qu'on n'est pas cohérent", regrette Hadja Lahbib.
À l’est de l’UE, des États comme la Bulgarie, la Pologne, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie demandent d’imposer des droits d’importation sur les céréales ukrainiennes, invoquant le risque d’un dumping agricole. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les agriculteurs manifestent un peu partout en Europe actuellement. Pour Hadja Lahbib, cette crise des céréales et des graines est la conséquence des blocages imposés par "la Russie de Poutine, qui marque des points, et c'est contre elle qu'il faut lutter [...]. Il faut dépasser nos divergences et trouver des moyens pour que ces céréales n’envahissent pas l'Union européenne". Elle rappelle également le besoin d'acheminer toujours ces céréales vers les pays d’Afrique.
La cheffe de la diplomatie belge, défend le fameux Pacte migratoire, qui est en train d'être finalisé : "Nous avons maintenant un pacte, avec les Vingt-Sept sur la même ligne", se félicite-t-elle. Mais une vingtaine d'ONG dénoncent un système mal conçu, coûteux et cruel. Hadja Lahbib rejette ces accusations, tout en concédant que "la mise en œuvre demande effectivement du budget : il faut arriver à traiter la migration de façon responsable, solidaire et humaine. Et tous les critères seront là pour qu'on continue à accepter, à accueillir sur nos territoires des gens qui fuient la maltraitance, qui fuient les inégalités parce qu'ils appartiennent à des minorités qui ont le droit de trouver asile chez nous, tout en permettant un renvoi rapide de ceux qui n'ont pas droit à cet asile." Elle plaide pour un meilleur partenariat avec les pays d'où sont originaires ces migrants : "Personne ne quitte sa maison, ses origines, ses racines, de gaieté de cœur. Il fuient parce qu'ils n'ont plus d'horizon politique, parce qu'ils sont en danger. Il faut donc également travailler à la stabilisation de ces régions, que ce soit au Proche-Orient ou en Ukraine."
L'une des autres grandes ambitions de la présidence belge est de faire avancer le Pacte vert d'ici à avril, date à laquelle le Parlement européen interrompra ses travaux. La droite et l'extrême droite ont déjà bloqué des lois très symboliques. "On ne peut pas se permettre de faire du surplace", assène Hadja Lahbib. "Tout le monde est conscient qu'il y a urgence, qu'il y a un réel bouleversement climatique, qu'une transition doit se mettre en place." Mais elle nuance : "Il n'est pas question de pause, mais il ne faut pas non plus faire une transition qui laisse une partie de la population sur le carreau."
Le Président du Conseil européen, le belge Charles Michel, a annoncé sa candidature comme tête de liste du Mouvement réformateur pour les élections européennes, mettant fin à ses fonctions à partir de juin, alors que son mandat court jusqu’au 30 novembre 2024. Plusieurs Commissaires européens envisagent également de se lancer dans la campagne des européennes. Cela ne fait pas peur à Hadja Lahbib, bien au contraire : "Qu'ils aillent se confronter à leurs électeurs, qu'ils se rappellent à leur bon souvenir, qu'ils viennent finalement dire ce qu'ils ont fait, c'est bon pour la santé de la démocratie."
Elle en profite pour lancer un appel aux électeurs : "Dans le monde d'aujourd'hui, avec les extrémismes qui montent, avec le recul des libertés fondamentales, des droits fondamentaux qu'on a mis des années et des décennies à acquérir, faites entendre votre voix. Chaque voix compte, c'est important. Et ne cédez pas aux solutions simplistes apportées par des partis extrêmes qui, quand ils arrivent au pouvoir, sont finalement confrontés à la réalité et sont incapables d'appliquer leurs promesses."
Émission préparée par Isabelle Romero, Perrine Desplats et Sophie Samaille