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Enrico Letta: "Les Européens épargnent pour enrichir les États-Unis"
Edité par France 24 - 2024
C’est le premier constat qu’a fait l’ancien chef d’État italien, après huit mois à sillonner les pays de l’UE pour rédiger son rapport sur le marché unique européen : "On ne peut pas relier les capitales européennes en train à grande vitesse, mais seulement en avion." Le marché n’est donc pas unique, et la transition écologique attendra. "C’est un décrochage dramatique", par rapport aux États-Unis et à la Chine, s’inquiète le président de l’institut Jacques Delors.
Il faut donc "changer d’échelle pour faire en sorte que l’Europe reste compétitive" face à la concurrence chinoise et nord-américaine. Enrico Letta pointe du doigt la fragmentation du marché européen : "On a des marchés financiers qui sont fragmentés en 27 marchés financiers." Ce sont chaque année 300 milliards d’euros épargnés par les Européens qui s’envolent vers les États-Unis, et cette somme "alimente en actions les entreprises américaines qui se renforcent et reviennent en Europe acheter nos entreprises européennes avec notre propre argent, c'est une folie totale". Cet argent pourrait permettre de financer une transition "verte, digitale et juste".
Selon lui, il faut un mélange d’investissements privés et publics : les aides d’État doivent être mutualisées et "devenir plus européennes". L’urgence à agir est bien là pour l’ancien chef de gouvernement italien, qui propose des "réformes qui sont réalisables et rapidement réalisables parce que nous n’avons plus le temps".
Vers une défense plus européenne
Enrico Letta réitère l’engagement de l’Europe en faveur de l’Ukraine contre cette "folle agression russe" : "On a dépensé beaucoup d'argent pour soutenir l'Ukraine et on a bien fait de le faire." Mais 80 % des matériels achetés par l'Europe pour aider l'Ukraine ne sont pas européens. Face à cette dépendance, Letta insiste : "On a dépensé 80 % de l'argent du contribuable français, italien, allemand pour créer des emplois en Turquie, en Corée du Sud, au Michigan ou au Wisconsin. Puisqu’on a une industrie de la défense européenne, il faut dépenser pour créer des emplois en Europe !"
"L'Europe a convaincu même les eurosceptiques"
Il se dit "optimiste" quant au rôle du scrutin européen pour "trouver une voie pour l’avenir de l’Europe". Dans ces élections, contrairement à celles de 2019, "personne ne parle de Frexit ou d’Italexit […] et ce sont des élections dans lesquelles même ceux qui étaient auparavant eurosceptiques parlent aujourd'hui de comment ils veulent gérer l'Europe. Moi, je prends tout ça comme élément positif. L’Europe a convaincu même les eurosceptiques !" ironise-t-il, même s’ils veulent la changer.
Contre la rhétorique anti-immigration de la droite radicale, Enrico Letta avance ses arguments. Face à la "désastreuse […] chute démographique de l’Europe", il souligne la nécessité d’attirer "une main d'œuvre aussi de l'extérieur et de faire en sorte qu'elle reste et qu'elle s'intègre […], car notre futur à nous passe par une bonne et efficace intégration des gens qui viennent de l'extérieur, avec lesquels nous devons partager le futur, l'avenir."
Quant aux rumeurs sur son éventuelle candidature à la présidence de SciencesPo Paris, l’ancien doyen de l’École d'affaires internationales ne l’exclut pas, même en cette période tourmentée pour l’école : "L'affaire Gaza est une affaire qui est en train de créer des troubles partout dans les universités du monde, et il est évident que la tension autour de ces sujets demande une attention qui est absolument particulière." Une candidature à suivre donc.
Une émission préparée par Agnès Le Cossec, Paul Guianvar'ch, Perrine Desplats, Isabelle Romero et Anaïs Boucher