Paolo Gentiloni: "Viktor Orban a enfin compris qu’un véto lui aurait causé beaucoup de problèmes"

Caroline DE CAMARET

Edité par France 24 - 2024

Le sommet du 1er février aura mérité son qualificatif d’extraordinaire. En effet, Viktor Orban a enfin consenti à voter l’aide de 50 milliards d’euros à l’Ukraine, constituée de 33 milliards de prêts et de 17 milliards de dons. Pour parvenir à ce résultat, les 26 autres États membres n'ont fait que deux concessions minimes : ils ont accepté que l'aide soit redébattue chaque année – est ce sans possibilité de vote, donc de veto – et que le Conseil puisse exiger dans les deux ans une révision de ce soutien à l'unanimité.

"L'Union européenne est plus forte que ses propres divisions", se félicite Paolo Gentiloni. "Viktor Orban a enfin perçu son isolement et compris qu’imposer son véto lui aurait causé des problèmes", ajoute-t-il. Beaucoup craignaient que Viktor Orban n'accepte de céder qu'en échange du déblocage des 20 milliards d'euros de fonds européens destinés à la Hongrie gelés par Bruxelles en raison des manquements à l'État de droit de Budapest. Paolo Gentiloni est affirmatif : "Ces deux dossiers sont complètement séparés [...], la discussion sur le plan de relance hongrois est en cours [...] mais aucune décision n'a été prise sur ce sujet lors du sommet de jeudi."

Sur le plan économique, l'Union européenne est le premier contributeur de l'Ukraine. Paolo Gentiloni espère que cette décision du Conseil sera "un message pour les États-Unis, qui aborderont la question dans les prochains jours au Congrès. [...] Je suis assez optimiste sur le fait que les États-Unis pourront trouver une voie pour continuer quelques formes de soutien. Mais sans ce soutien européen, sans l'Union européenne, ce serait impossible pour les Ukrainiens de continuer leur combat, qui est un combat pour nos valeurs."

Ce sommet européen s’est déroulé sur fond de grogne du monde agricole. La colère gronde partout en Europe, et certains agriculteurs sont même venus jusqu’à Bruxelles, où l’on a décompté un millier de tracteurs dans le quartier européen ce jeudi 1er février. Les protestations se sont d'ailleurs glissées dans les conclusions du Conseil européen, les Vingt-Sept reconnaissant la légitimité de certaine des préoccupations exprimées par les agriculteurs.

Les raisons de la colère sont nombreuses : augmentation des prix de l’énergie, relations difficiles entre les agriculteurs et la grande distribution, mais également la politique du Pacte Vert et les normes environnementales qui vont avec, ainsi que la politique commerciale avec l'Ukraine. "On a essayé de répondre à certaines de ces préoccupations en prenant des décisions sur certains produits alimentaires en provenance d'Ukraine et en prenant des décisions sur les mesures qui obligent les agriculteurs à mettre des terrains en jachère, mais on doit rester à l'écoute parce que ce secteur, qui est l’un des plus gros bénéficiaires du budget européen, est essentiel."

Autre préoccupation de taille pour les agriculteurs européens : les accords commerciaux, et plus particulièrement l’accord avec le Mercosur, qui regroupe certains pays d’Amérique du Sud, et dont les négociations durent depuis plusieurs années. Celui-ci prévoit en effet des droits de douane réduits pour l'importation en Europe de certaines denrées produites sur le contient américain, comme la viande et le maïs, par exemple.

Et alors que les normes environnementales européennes se font de plus en plus drastiques, importer des produits qui ne sont pas soumis à ces mêmes normes inquiète les agriculteurs européens. Mais le commissaire à l'Économie se veut rassurant : "On ne peut pas conclure des négociations qui seraient néfastes pour des secteurs très importants de nos économies, comme l’agriculture, et l'expérience nous montre que, normalement, tous nos accords commerciaux ont été avantageux pour nos économies. [...] Je comprends l'idée qu'il faut être très attentif à ne pas conclure des accords qui seraient défavorables, par exemple, à notre agriculture. Mais en même temps, je pense que l'ouverture aux accords commerciaux serait bénéfique. [...] On va donc continuer cette négociation en tenant compte naturellement des préoccupations qui viennent du monde de l'agriculture."

Les perspectives économiques de l’Union européenne, qui affiche une croissance faible de 0,5 % pour 2023, sont moroses. Pour le commissaire à l'Économie cette situation est due à "une succession de crises très difficile à aborder : l’une a affecté tous les pays du monde, le Covid, et l’autre, la guerre en Ukraine, a affecté tout le monde du point de vue géopolitique. Mais économiquement,  elle a particulièrement affecté l'Europe. À l'automne 2022, on attendait une récession en Europe. [...] On a une croissance extrêmement faible, mais on a réussi à éviter la récession."

À l’échelle européenne, le pire est évité, mais ce n’est pas le cas pour une dizaine de pays de l’UE, dont l’Allemagne, première économie européenne. Pour Paolo Gentiloni, "on doit pousser notre économie à faire des investissements. [...] On doit en tout cas éviter les erreurs qu'on a faites, peut-être il y a dix ou douze ans lors de la crise financière internationale, quand on a répondu à cette crise avec des politiques d'austérité. Ce serait une erreur [de recommencer]."

C'est d’ailleurs ce qui se joue avec la réforme du pacte de stabilité, qui a des normes particulièrement rigides. Cette réforme suscite des polémiques malgré le principe suivant qui veut que la Commission tienne compte des particularités de chaque État et accorde des dérogations pour favoriser l'investissement. La proposition de la Commission consiste aussi à réduire l'endettement des États, ce qui fâche les syndicats, et beaucoup disent que l'on est en train de retourner à la rigueur sous l'impulsion de l'Allemagne, ce que réfute Paolo Gentiloni : "Il n'y a rien dans ces propositions qui contraint les États membres à retourner à une politique de rigueur et d'austérité."

L’italie, dirigée par la très droitière Giorgia Meloni, s'apprête de son côté à lancer un grand plan de privatisation de la Poste, des chemins de fer et de la société ENI pour réduire sa dette, qui a explosé pour atteindre 140 % – ce qui est loin des 60 % préconisés par le Pacte européen. Pour Paolo Gentiloni, l’un des prédécesseurs de Giorgia Meloni, réduire la dette "est nécessaire et important, en particulier pour l’Italie [...], mais il faut le faire de manière graduelle". Et de conclure que le plan présenté par Giorgia Meloni "est une décision du gouvernement, et ici, à Bruxelles, on la respecte".

Émission préparée par Sophie Samaille, Agnès Le Cossec, Perrine Desplats et Isabelle Romero

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