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Nicolas Schmit : "l'élargissement n'est pas une manière de promouvoir le dumping social"
Edité par France 24 - 2024
"Quelle Europe voulons-nous ? Voulons-nous une Europe d'abord démocratique, une Europe solidaire, une Europe respectueuse de nos valeurs ?" Dans la perspective des élections européennes, Nicolas Schmit pose les éléments du débat : "Voulons-nous continuer à travailler sur la dimension sociale de l'Europe ? Et en même temps renforcer sa dimension économique ? Je crois que c'est ça l'enjeu. C'est le contraire d'une Europe qui se replie, d'une Europe des nationalismes."
Son nom circule comme possible tête de liste pour les socialistes européens. S’il confirme "s’imaginer l'accepter", Nicolas Schmit affirme ne pas s'être lancé dans une campagne électorale et rester solide sur ses convictions, "indépendamment de toute campagne".
Travail
Plusieurs directives importantes ont été adoptées sous le mandat du commissaire. Mais une interrogation demeure à propos de la directive sur les travailleurs des plateformes. Quelques 5,5 millions de travailleurs européens devaient obtenir une requalification de leur statut professionnel, accompagnée d'un salaire minimum, de congés payés, d'une protection sociale pour ceux qui dépendent d'Uber et de Deliveroo, par exemple, ou de toute autre société du secteur ayant atteint 4,5 milliards d'euros par an.
Mais une minorité d'États s'oppose à cette avancée, dont la France. Nicolas Schmit trouve cette position "regrettable". "Il y a un certain nombre de détails ou des questions de principe qui semblent déranger un certain nombre d'États qui n'ont pas pu approuver le compromis qui a été négocié entre la présidence espagnole, représentant le Conseil, et le Parlement européen." Mais il ne perd pas espoir : "Il y a toujours une possibilité de reprendre cette négociation et je fais entièrement confiance à la présidence belge pour se mettre au travail."
Conséquence de l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022, 4,5 millions de personnes, "en majorité des femmes et des enfants", ont bénéficié d'une protection temporaire dans l'Union européenne. En Allemagne, en Pologne et en République tchèque, ils sont nombreux à vouloir travailler. Ce statut a permis à "près de deux millions de personnes" de trouver un travail et d’intégrer scolairement les enfants, rappelle le commissaire européen. "Je dirais qu'il y a certainement des choses qui restent perfectibles, à la fois au niveau du travail et de l'intégration des enfants. Mais globalement, je peux conclure que ça a été une opération réussie, grâce d'ailleurs à la solidarité des États membres, mais aussi grâce à la solidarité des citoyens."
Élargissement
En attendant, partis de gauche comme formations nationalistes considèrent que l'Ukraine pose des problèmes de dumping social. Les Polonais, par exemple, ont bloqué leur frontière, refusant la concurrence bon marché des chauffeurs venus d'Ukraine, où le salaire minimum est de 168 € par mois.
Nicolas Schmit assure que "la dimension sociale est un élément central de notre politique d'élargissement […], il faut prendre des mesures fortes pour que ce dumping social n'ait pas lieu." Mais il faut aussi "régler ces problèmes" avec la Pologne "pour montrer que l'élargissement, ce n'est pas une autre manière de promouvoir le dumping social." Il juge cet élargissement "absolument nécessaire, indispensable, indispensable pour l'Ukraine, pour la stabilité de ce pays qui a fait des choix extrêmement courageux, mais aussi pour l'Union européenne."
Sa commission a mis en place un "Tinder de l'emploi", une plateforme permettant de mettre en relation les besoins de l'économie et les qualifications de la main d'œuvre de pays tiers. Il estime qu'il y aura besoin de sept millions de travailleurs supplémentaires en Europe d'ici la fin du siècle, en raison de nos démographies vieillissantes. "Il y a premièrement l'intégration de tous ceux qui ne sont pas sur le marché du travail, les jeunes qu'on appelle les NEETs ["Ni en emploi, ni en études, ni en formation", NDLR]. Il y a des personnes avec handicap. Il y a beaucoup de femmes qui ne peuvent pas travailler parce que les infrastructures en matière d'enfance ne sont pas suffisantes."
Malgré la virulence du débat sur l'immigration, Nicolas Schmit soutient qu’il faut "procéder à une immigration légale organisée". Si l’Europe manque de main d’œuvre, "nous pouvons essayer de corriger et de combler ces déficits par une immigration organisée et désémotionnaliser le débat migratoire, car l’immigration est aussi une chance pour l'Europe."
Climat
Le travail, et notamment le secteur touristique, est en train de changer sous l'effet du réchauffement climatique. Fini le ski, fini la neige ? Pour le commissaire à l’emploi et aux droits sociaux "le changement climatique est une réalité. Ce n'est pas une invention comme certains veulent le faire croire. Donc c'est une réalité à laquelle il faut effectivement s'adapter, mais contre laquelle aussi il faut lutter."
Il propose d’offrir "aux régions et aux personnes qui vivent de certains secteurs, des alternatives [...], un accompagnement à la fois économique, social, financier devient une urgence pour trouver un nouveau modèle économique, mais aussi garder les emplois qui jusqu'à présent ont été créés dans le secteur touristique, notamment liés à la neige, mais qui peuvent aussi trouver d'autres activités."
Hongrie et soutien à l’Ukraine
Coup de théâtre au sein des institutions européennes puisque Charles Michel, le libéral belge qui présidait le Conseil européen, se présente comme tête de liste de son parti en Belgique et abandonne son poste en juillet. L'intérim pourrait assuré par l’eurosceptique hongrois Viktor Orban, également hostile à l'Ukraine.
Nicolas Schmit se questionne sur la manière dont l’intérim ou la nomination d'un nouveau président pourra être opérée dans le cas où la présidence hongroise assumerait toutes les responsabilités, "ce qui n'est pas acquis et ce qui n'est pas sûr." Il se veut rassurant et statue que "la présidence n'a pas tous les pouvoirs, et je crois que la nécessité de poursuivre notre soutien à l'Ukraine dépasse les pouvoirs d'un [seul] État membre [...], qu’il soit président ou pas, puisse bloquer un enjeu stratégique fondamental pour la sécurité et l'avenir de l'Europe."
Hommage à Jacques Delors
L'année 2023 s'est achevée avec le décès de Jacques Delors. Un grand Européen qui croyait à la méthode communautaire, patron de la Commission de 1985 à 1995. Nicolas Schmit s’en souvient : "Je me sens personnellement très influencé à la fois par la pensée, l'approche et l'action de Delors. Donc j'ai été diplomate quand il était président de la Commission. Je crois que l'héritage de Delors reste extrêmement précieux, et j'inviterai tous ceux qui aiment se réclamer d'ailleurs de cet héritage à le montrer aussi en pratique, notamment tout ce qui concerne l'Europe sociale. Parce que Delors ne concevait pas l'Europe sans une forte dimension sociale, sans protéger les plus faibles, ceux qui, précisément, rencontrent dans leur vie quotidienne les plus grandes difficultés."
Émission préparée par Isabelle Romero, Juliette Laurain, Sophie Samaille et Perrine Desplats