0 avis
Pascal Canfin: "La victoire de l'extrême droite climatosceptique est possible mais pas une fatalité"
Edité par France 24 - 2023
Les Vingt-Sept, ou même les parlementaires européens, ne sont-ils pas en train de revenir en arrière sur des textes d'un Pacte Vert très protecteur de l'environnement et du climat, mais trop contraignant aux yeux de certains industriels et du monde agricole ? Que peut donc attendre l’Europe de cette COP ? Nous en parlons avec le Député européen Pascal Canfin, du Groupe Renew Europe, qui préside la Commission Environnement, santé publique et sécurité alimentaire.
Efforts écologiques
"Une mobilisation internationale encore plus grande qu’aujourd’hui", c’est ce qu’attend Pascal Canfin, car "le dérèglement climatique est là", constate-t-il. Et d'insister : "Il faut le maintenir en-dessous de la fameuse barre des 2°C de réchauffement pour que cela ne devienne pas un chaos climatique." D’après le service européen Copernicus, la Terre a brièvement franchi ce fameux seuil critique. Pascal Canfin le confesse, "c’est en partie trop tard : ça fait quarante ans que les scientifiques nous alertent et que les responsables politiques et économiques dans leur ensemble n'ont pas une action qui est à la hauteur de ce qu'il faut faire", mais il l’assure qu'"avec le Green Deal, le Pacte vert européen, on essaye de rattraper ce retard, d'accélérer pour tenir l'objectif qu'on s'est fixé, notamment avec les accords de Paris".
Ces efforts comprennent le doublement de la part des énergies renouvelables d’ici 2030, la décarbonation du parc automobile futur d’ici 2035… "Le Pacte vert, c'est 75 lois. Et quand vous changez 75 lois en même temps, c'est un changement systémique, [...] qui est nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques essentiels pour notre avenir."
À lire aussiDans l'Union européenne, la taxe carbone aux frontières en phase de test
Selon les chiffres, l’UE n'atteindra pas son objectif de réduction d’émissions de CO2 d’ici 2030. Pascal Canfin le confirme : "On n'y est pas encore. Et c'est pour ça qu'on continue de changer les règles du jeu pour y arriver. C'est l'essence même du Green Deal. [...] Toutes les réglementations que nous passons ont un seul objectif : atteindre les fameux -55 % pour être alignés avec les engagements que nous avons pris nous-mêmes". Pour preuve, "on est la seule zone au monde" à avoir un prix du CO2 sur les industries aux alentours de 80 à 100 euros la tonne et à avoir créé une "taxe carbone aux frontières". "C’est exemplaire ! [...] On n'a vraiment pas à rougir de notre action et de notre leadership climatique."
"Puissance de feu de l'industrie fossile"
Mais certains opposent la nomination du Néerlandais Wopke Hoekstra au poste de Commissaire à l’Action climatique, arguant qu’il a travaillé dans l’industrie pétrolière. Pascal Canfin se veut rassurant : "Il a pris des engagements et si nous l'avons validé en tant que Commissaire, c'est précisément parce qu'il a répondu positivement aux questions que nous lui avons posées de manière extrêmement claire, et notamment sur la baisse de la consommation d’énergies fossiles en Europe."
Car la question des énergies fossiles est centrale dans la lutte contre le réchauffement climatique. Et cette COP28, qui a lieu dans un pays producteur de pétrole, fait des sceptiques. Mais pour Pascal Canfin, justement, "c'est plus difficile, mais beaucoup plus intéressant, beaucoup plus stratégique d'en parler là où ça se passe, c'est-à-dire en Arabie Saoudite, dans les Émirats, au Qatar… Parce que c'est là qu’est la puissance de feu de l'industrie fossile." C’est également, selon lui, le moyen de travailler à la souveraineté stratégique de l’Union européenne : "Le fait de réduire notre dépendance au pétrole et au gaz, c'est évidemment bon pour le climat, mais c'est aussi bon pour notre indépendance et notre force géopolitique."
À voir aussiCOP28 : sortir des énergies fossiles ou capter les émissions de CO2 ?
L’optimisme affiché de Pascal Canfin détonne avec les dernières décisions européennes, qui font plutôt penser à un détricotage du Pacte Vert : torpillage de la loi "restauration de la Nature", report sine die de la réforme de la réglementation sur les produits chimiques, autorisation de l’utilisation du glyphosate prolongée de dix ans, les exceptions du règlement sur les emballages et le rejet du règlement réduisant les pesticides… Pascal Canfin en convient, mais se réjouit que la loi "restauration de la Nature’" soit passée, même s’il l’aurait préférée "plus ambitieuse. [...] Mais arrêtons de voir le verre à moitié vide. [...] On est les seuls au monde à avoir une loi qui lutte contre la déforestation importée, et les forêts sont un enjeu majeur du climat."
Malgré tout, des chefs d’États, dont le président Emmanuel Macron, ont demandé une pause réglementaire en matière environnementale, en raison de certains règlements qu’ils jugent trop lourds, et une certaine droite européenne monte au créneau. Pour Pascal Canfin, "le fait qu’aujourd’hui certains disent qu’on en fait trop [...] ça prouve bien que nous sommes en train d'avancer beaucoup plus vite qu'avant". Il tient par ailleurs à rappeler qu’une "alliance de la droite et de l’extrême droite", a voté contre la réduction des pesticides. "Chacun prend ses responsabilités, c'est aussi ça la démocratie. Et on va bien évidemment le dire et le redire pendant la campagne" des élections européennes.
"Parfois on gagne, parfois on perd"
Le Néerlandais d’extrême droite Geert Wilders est arrivé en tête des élections dans son pays. Son climatoscepticisme affiché et sa volonté d’appeler à un référendum sur la sortie de son pays de l’UE, le "Nexit", font craindre à certains un changement de braquet en Europe. Pour Pascal Canfin, le résultat des élections aux Pays-Bas montre qu’une "victoire de l’extrême droite est possible, mais ce n’est pas une fatalité. [...] Il faut être conscient du risque, mais il ne faut pas non plus le surestimer [...] et je ne suis absolument pas certain que Geert Wilders trouve la majorité pour mettre à bien le programme, car ça n'est le programme d'aucun des autres partis" avec lesquels il pourrait faire une coalition.
À lire aussiAnti-islam, anti-UE… Geert Wilders ou le triomphe bruyant de l'extrême droite aux Pays-Bas
Il rappelle par ailleurs les récentes élections en Pologne, où l'extrême droite est au pouvoir depuis des années, et lors desquelles "ce sont les partis pro-européens et engagés sur l'environnement qui ont gagné. (...) C'est une bataille. Parfois on la gagne, parfois on la perd. Ça s'appelle la démocratie. Et c'est pour ça que l’un des enjeux majeurs de cette élection européenne, ça sera de savoir si l'Europe reste dans une logique de construction de l'Europe puissance face à la Chine, face aux États-Unis, pour exister au XXIᵉ siècle tous ensemble, ou si au contraire on se fragmente, on vide le projet européen de l'intérieur et objectivement, on sortira de l'histoire. C'est ça l'enjeu des élections."
La position "équilibrée" de la France
La liste du parti macroniste Renaissance pour les élections européennes de 2024, pour laquelle Pascal Canfin a un temps été pressenti en tant que tête de liste, sera menée par Stéphane Séjourné, actuel Président du groupe Renew Europe au Parlement européen. Était-il trop vert pour porter cette liste ? "Non, mon bilan, c'est celui de la majorité présidentielle. Tout le monde est fier de la taxe carbone aux frontières, de la transformation industrielle que nous sommes en train de faire. Tout cela, c'est grâce à notre action. Et c'est la mienne, celle du Président de la République et celle de la majorité."
Il s’oppose par ailleurs vivement aux critiques de l’abstention de la France dans le cadre du vote sur la prolongation de l’utilisation du glyphosate proposée par la Commission européenne. En effet, n’étant pas arrivés à la majorité qualifiée nécessaire lors de ce vote, aucun accord n’a été trouvé, et la Commission en a donc prolongé de facto l’utilisation pour dix ans. Il affirme que la France est "le seul pays en Europe qui a réduit de 30 % le glyphosate ces dernières années. [...] Et si le texte n'a pas trouvé de majorité contre, c'est pas de notre faute, c'est celle de ceux qui ont voté pour ce texte."
Et il réaffirme la position "équilibrée" de la France : "On ne peut pas se passer de glyphosate du jour au lendemain : les agriculteurs n'ont pas partout, toujours, des alternatives. Par contre, là où on a des alternatives, il faut s'en passer. C'est ça la ligne française, et malheureusement, elle n'a pas été soutenue, et je le regrette", conclut-il.
Émission préparée par Sophie Samaille, Perrine Desplats, Juliette Laurain et Isabelle Romero