Syracuse

Pour penser le négatif, il semble logique de partir d'un pouvoir, qui semble être pour certain réservé aux êtres humains, qui est celui de nier. Le pouvoir de nier, c'est le pouvoir de contredire, le pouvoir de distinguer, le pouvoir de la négation qui semble être au fondement de la pensée en général.

Le pouvoir de dire "ceci n'est pas cela".

Un pouvoir qui semble supposer une capacité à s'arracher au réel, car dans le réel, nous ne sommes que devant des choses, des choses qui sont ce qu'elles sont et il n'y a rien d'autre à ajouter. Et dès que nous distinguons par exemple : "ce livre n'est pas une chaise", "cette fleur n'est pas un géranium", nous sortons du réel. De René Descartes avec la liberté comme pouvoir d'affirmer et de nier jusqu'à Jean-Paul Sartre et bien d'autres encore en passant par Hegel et sa dialectique, nous manifestons un pouvoir de nier qui est comme la définition même de la liberté. Comme disait le grand poète et philosophe allemand Goethe, "l'esprit qui toujours nie et c'est sa définition même". La pensée consiste donc à nier. C'est le fondement même de la pensée. Distinguer, c'est nier. Cela a toujours été au cœur de la logique et de la pensée humaine, au point de mener non seulement à la revendication d'une négation généralisée, d'un pouvoir absolu de l'esprit, mais aussi aux abîmes du scepticisme. Dès lors, je peux tout nier. Je peux toujours tout critiquer. Je peux dire "ceci n'a pas eu lieu". Je peux dire "deux et deux ne font pas quatre". Je peux tout nier dans l'esprit par la logique et peut-être est-ce ainsi aussi que la science avance.

Peut-on nier avoir faim ou soif quand on est tenaillé par la faim ou par la soif ?

Avec sa radicalité, le scepticisme assume même le fait que la contradiction qu'on lui impute parfois n'est pas tenable. Par exemple, on dit aux sceptiques : "Vous pouvez tout nier, sauf votre thèse qui est que l'on peut tout nier… " Car il y a au moins, dans toutes paroles, une affirmation cachée, une affirmation minimale, un principe logique qui est indéniable. Mais le sceptique aura beau jeu de dire : "Non, même le fait que je nie tout peut être contesté. La preuve en est que vous le contestez". La vérité va être alors dans le fait de se taire. Mais est-il vrai que l'on puisse tout nier et tout dénier ? Et je pourrai aussi ajouter "renier" parce que c'est encore quelque chose de plus négatif et de plus fondamental. Peut-être que l'expérience même que l'on ne peut pas nier, c'est justement l'expérience qui vient heurter nos vies de manière absolue. Peut-on nier la réalité de la vie alors même qu'elle est attestée par la disparition possible dans la mort ? Peut-on nier, par exemple, plus que comme dans les "Méditations métaphysiques" de Descartes qui dit : "on peut douter de tout", peut-on nier, par exemple, avoir faim ou soif quand on est tenaillé par la faim ou par la soif ? Il y a des besoins, des souffrances que l'on ne peut pas nier, même si les plaisirs nous semblent toujours susceptibles de doute en réalité. Peut-être qu'au fond, le paradoxe veut que la seule chose que l'on ne puisse pas nier, c'est l'expérience absolue, parfois terrible, du négatif.

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