Charles Michel: "Vladimir Poutine a ouvert les yeux des Européens sur leur défense"

Caroline DE CAMARET

Edité par France 24 - 2024

Le président du Conseil européen en convient : "On a eu besoin de plusieurs semaines pour réussir à dégager une position détaillée, unie, parce qu'on sait que sur un sujet pareil, les 27 États membres peuvent avoir des relations avec Israël ou avec la Palestine qui sont inspirées par l'histoire, et c'est cela qui nous a amené à avoir besoin d'un peu de temps avant d'être en mesure d'exprimer une position unique et unie sur ce sujet".

Mais le président du Conseil européen tient à saluer le "message d’unité" des Vingt-Sept sur la situation à Gaza lors du dernier sommet européen, qui a, selon lui, démontré l’absence de "double standard" européen en aboutissant à une "condamnation ferme de l’attaque terroriste menée par le Hamas le 7 octobre et [un] appel à Israël de respecter le droit international humanitaire […], dans le respect du comportement qui doit être celui d'un État démocratique."

Un "pas supplémentaire" dans le soutien à l'Ukraine

Quant au conflit en Ukraine, Charles Michel se félicite d’avoir "pris le Kremlin et le reste du monde par surprise, parce que l'Union européenne, traditionnellement vue comme un projet exclusivement économique et fondé sur des valeurs, est en train de devenir un projet qui a une ambition de puissance et de développement de capacités militaires". Les États membres ont "fait un pas supplémentaire" dans leur aide à l’Ukraine lors du dernier conseil, "en s'attaquant aux revenus des avoirs russes gelés" dans les banques européennes – qui s’élèvent à quatre milliards d’euros – "afin de soutenir l'Ukraine, y compris avec de l'équipement militaire".

La guerre en Ukraine a par ailleurs obligé Kiev à exporter via les pays européen des denrées agricoles. Pour satisfaire les agriculteurs européens, l’Union voudrait plafonner ces exportations d'œufs, poulets ou encore de blé ukrainiens : "Il faut trouver une solution qui soit à la fois bonne pour les agriculteurs européens, mais qui permette aussi à l'Ukraine de continuer à exporter – d’ailleurs principalement hors de l'Union européenne – et à utiliser l'UE pour permettre un transit […]. Le Conseil européen a demandé à la Commission et à nos ministres de l'Agriculture de travailler dans les jours qui viennent à trouver des accords pragmatiques avec l'Ukraine, afin qu’on veille à ce qu’il n’y ait pas d'injustice."

L’Union européenne importe également beaucoup de céréales et d’oléagineux de Russie, jusque-là exemptés de droits de douane. "La Commission européenne vient de faire une proposition afin que les États membres examinent la possibilité de déterminer des droits de douane relativement élevés contre des produits agricoles russes", rappelle Charles Michel, "mais il est certain que l'on doit y aller avec précaution, afin que cette mesure n'ait pas d’effets collatéraux négatifs pour la sécurité alimentaire dans le monde entier."

Dénonciation de "l'irresponsabilité" de Vladimir Poutine

L’attentat du Crocus City Hall, à Moscou le 25 mars dernier, a fait plus de 140 morts. Vladimir Poutine a fini par reconnaître qu’il avait été commis par des islamistes radicaux, tout en continuant de sous-entendre un lien avec l'Ukraine. "Une fois encore – on est habitués –, on fait face à du mensonge, de la propagande, de la désinformation", dénonce Charles Michel. "On voit qu'il est apparemment impossible pour le Kremlin […] de ne pas tomber dans la tentation du mensonge en tentant de faire de l'escalade rhétorique, en accusant de manière saugrenue l'Ukraine […]. Ça montre qu'on a raison, comme Européens, avec de nombreux partenaires dans le monde, de défendre la démocratie, la liberté et la souveraineté de l'Ukraine."

Il dénonce également "l’irresponsabilité" de Vladimir Poutine qui, depuis deux ans, se livre à "une escalade verbale, rhétorique, avec des menaces de recours à l'arme nucléaire, des multiplications des attaques par des missiles, y compris ces derniers jours". "Il y a un agresseur, rétablit Charles Michel, c'est la Russie, avec des comportements qui s’apparentent à des crimes de guerre, et il y a un agressé, c'est le peuple ukrainien, et ce sont tous ceux qui croient dans ces valeurs de démocratie incarnée par la souveraineté de l'Ukraine, qui a fait le choix libre d'arrimer son destin à l'Union européenne […]. Nous devons être absolument déterminés à ne pas laisser la Russie l'emporter, parce que laisser la Russie l'emporter, ça veut dire plus de fragilité, plus d'instabilité, plus d'insécurité."

La justice russe a d'ailleurs émis un avis de recherche contre 700 ressortissants étrangers qui auraient, selon ses termes, "insulté l'histoire". Parmi ces personnalités se trouve la Première ministre estonienne Kaja Kallas. "C’est un exemple de plus sur une longue liste d'un cynisme absolu du Kremlin", juge Charles Michel.

Quid, enfin, d’un grand emprunt de 100 milliards d’euros pour renforcer la défense européenne ? Le président Emmanuel Macron et l’Estonie le réclament, mais l’Allemagne reste sceptique. Charles Michel en a la certitude : "Que ce soit à travers un grand emprunt européen ou par d'autres types de mécanismes de financement, nous sommes déterminés à changer de paradigme […]. Vladimir Poutine a ouvert les yeux des Européens sur leur défense : être un projet de prospérité, c'est bien, c'est nécessaire, mais c'est insuffisant. On a besoin d'un pilier de sécurité et de défense."

Défense du bilan européen des cinq dernières années

Le 6 janvier 2024, Charles Michel avait annoncé qu’il mènerait, à l'occasion des élections européennes, la liste du Mouvement réformateur en Belgique. Une telle décision aurait automatiquement entraînée sa démission du poste de président du Conseil européen, et il s'était rétracté trois semaines plus tard. "Il n'y a pas eu de pression de mes pairs, en aucun cas", affirme l’intéressé. "J’ai fait un choix en conscience […]. Ce qui compte pour moi, c'est la stabilité du Conseil. Et à un moment comme celui-ci, on a besoin d'un ancrage. Avec les 27 chefs d’États et de gouvernement, on va continuer à travailler pour réussir la transition institutionnelle qui sera nécessaire après les élections européennes du mois de juin."

Des élections pour lesquelles forte progression de l’extrême droite est pronostiquée. Mais Charles Michel reste "très prudent avec les sondages" et se veut "assez optimiste [quant au fait] que, partout en Europe, ceux qui croient dans l'intégration européenne comme pilier pour plus de prospérité, pour plus de développement économique, pour plus de stabilité, vont faire entendre leur voix. Et la responsabilité des leaders européens, c'est de démontrer qu'il y a une valeur ajoutée, qu'il y a des résultats." Il défend par là le bilan européen des cinq dernières années : la crise Covid, la lutte contre le réchauffement climatique, le soutien à l’Ukraine… "Ce projet européen, qu'il est facile de décrier quand on regarde les résultats, on voit que c'est plutôt un élément qui donne de la stabilité, de la sécurité", conclut-il.

Une émission préparée par Isabelle Romero, Sophie Samaille et Perrine Desplats

Consulter en ligne

Suggestions

Du même auteur

Pascal Canfin: "La victoire de l'extrême droite climatosceptique est possible mais pas une fatalité" | Caroline DE CAMARET

Pascal Canfin: "La victoire de l'extrême droi...

| Caroline DE CAMARET | 2023

Les Vingt-Sept, ou même les parlementaires européens, ne sont-ils pas en train de revenir en arrière sur des textes d'un Pacte Vert très protecteur de l'environnement et du climat, mais trop contraignant aux yeux de certains indus...

Manon Aubry : "L’adhésion à l'UE d’un pays en guerre comme l’Ukraine n’est pas réaliste" | Caroline DE CAMARET

Manon Aubry : "L’adhésion à l'UE d’un pays en...

| Caroline DE CAMARET | 2023

Manon Aubry appelle à un cessez-le-feu dans la guerre qui oppose Israël au Hamas depuis le 7 octobre dernier, et rejette toute accusation d’antisémitisme de son parti, LFI, pour lequel elle sera tête de liste lors des élections eu...

Nicolas Schmit : "l'élargissement n'est pas une manière de promouvoir le dumping social" | Caroline DE CAMARET

Nicolas Schmit : "l'élargissement n'est pas u...

| Caroline DE CAMARET | 2024

"Quelle Europe voulons-nous ? Voulons-nous une Europe d'abord démocratique, une Europe solidaire, une Europe respectueuse de nos valeurs ?" Dans la perspective des élections européennes, Nicolas Schmit&nbs...

Hadja Lahbib: "La Hongrie ne doit pas s’isoler et être du mauvais côté de l’Histoire" | Caroline DE CAMARET

Hadja Lahbib: "La Hongrie ne doit pas s’isole...

| Caroline DE CAMARET | 2024

Avec les élections européennes de juin 2024, la Belgique n’hérite pas d’une période facile pour sa présidence, mais il en faut plus pour inquiéter celle qui a été reportrice de guerre en Afghanistan. "J’aime les défis, e...

Paolo Gentiloni: "Viktor Orban a enfin compris qu’un véto lui aurait causé beaucoup de problèmes" | Caroline DE CAMARET

Paolo Gentiloni: "Viktor Orban a enfin compri...

| Caroline DE CAMARET | 2024

Le sommet du 1er février aura mérité son qualificatif d’extraordinaire. En effet, Viktor Orban a enfin consenti à voter l’aide de 50 milliards d’euros à l’Ukraine, constituée de 33 milliards de prêts et de 17 milliards de dons. Po...

Valérie Hayer: "L’extrême droite de Jordan Bardella est hypocrite sur le Green Deal et la PAC" | Caroline DE CAMARET

Valérie Hayer: "L’extrême droite de Jordan Ba...

| Caroline DE CAMARET | 2024

"C'est un honneur, une fierté et une grande responsabilité de représenter les 101 députés de ce groupe charnière sans lequel aucune majorité n'est possible au Parlement européen, et qui a donc une vraie force d’influence", nous co...

Teresa Ribera: "L'extrême droite a un discours agressif, plus destructeur que constructif" | Caroline DE CAMARET

Teresa Ribera: "L'extrême droite a un discour...

| Caroline DE CAMARET | 2024

La question du niveau de vie des agriculteurs est "très importante" pour Teresa Ribera : "L’agriculture est fortement menacée par le changement climatique, la sécheresse, l'érosion des sols. [...] Ce qui nous a manqué – ...

François-Xavier Bellamy: "Ursula von der Leyen a largement contribué à fragiliser l’Europe" | Caroline DE CAMARET

François-Xavier Bellamy: "Ursula von der Leye...

| Caroline DE CAMARET | 2024

Présent au Salon de l’Agriculture, François-Xavier Bellamy entendait y prouver son attachement à la cause des agriculteurs : "Ça fait maintenant des mois, des années qu'ils disent leur angoisse parce que l'Europe n'a cessé de leur...

J-N. Barrot: "Donnons vite à l’Ukraine les armes nécessaires, tout en développant notre industrie" | Caroline DE CAMARET

J-N. Barrot: "Donnons vite à l’Ukraine les ar...

| Caroline DE CAMARET | 2024

Ce samedi sonne le coup d’envoi de la campagne des élections européennes pour le camp du président de la République. L’opportunité pour le parti Renaissance de rappeler son bilan et sa vision pour l’Europe des cinq prochaines anné...

Carlos Moedas, maire de Lisbonne: "Il faut être modérés, mais agressifs dans notre modération" | Caroline DE CAMARET

Carlos Moedas, maire de Lisbonne: "Il faut êt...

| Caroline DE CAMARET | 2024

Ces élections intervenaient dans un contexte inédit, après la démission du premier ministre Antonio Costa. Le dirigeant portugais avait été accusé d’avoir touché des pots-de-vin et poussé au départ. Il s’agissait d’une méprise, le...

Rafael Grossi: "le nucléaire n’est pas la panacée, mais essentiel pour tenir les accords de Paris" | Caroline DE CAMARET

Rafael Grossi: "le nucléaire n’est pas la pan...

| Caroline DE CAMARET | 2024

Rafael Grossi se réjouit de la tenue de ce sommet : "Le fait que les leaders du monde se retrouvent ici autour du nucléaire civil, de l’énergie nucléaire, en dit long sur les nombreux défis liés à l’énergie auxquels le monde fait ...

Markus Beyrer : "Il faut montrer au monde qu'on peut décarboner tout en restant compétitifs" | Caroline DE CAMARET

Markus Beyrer : "Il faut montrer au monde qu'...

| Caroline DE CAMARET | 2024

"Les procédures prennent beaucoup trop de temps"Face à la concurrence des entreprises chinoises et américaines, le directeur général de Business Europe estime que les sociétés européennes manquent d’attractivité : "Les prix de l’é...

Maros Sefcovic: "La transition doit être juste et verte, mais respecter la compétitivité" | Caroline DE CAMARET

Maros Sefcovic: "La transition doit être just...

| Caroline DE CAMARET | 2024

Lorsque Maros Sefcovic a repris le Pacte Vert sous sa responsabilité, les processus étaient déjà bien engagés. "Nous sommes à une étape plus compliquée de ce Pacte. Beaucoup, beaucoup plus difficile, parce qu'on est en pleine mise...

Enrico Letta: "Les Européens épargnent pour enrichir les États-Unis" | Caroline DE CAMARET

Enrico Letta: "Les Européens épargnent pour e...

| Caroline DE CAMARET | 2024

C’est le premier constat qu’a fait l’ancien chef d’État italien, après huit mois à sillonner les pays de l’UE pour rédiger son rapport sur le marché unique européen : "On ne peut pas relier les capitales européennes en train ...

Nadia Calviño: "L’UE a répondu aux défis unie et déterminée, recette de son succès!" | Caroline DE CAMARET

Nadia Calviño: "L’UE a répondu aux défis unie...

| Caroline DE CAMARET | 2024

Les investissements de la BEI sont, selon sa présidente, "clés pour l’avenir de l’Europe", qui fait face à des défis colossaux, à commencer par la guerre en Ukraine. Après la prudence de son prédécesseur sur l’industrie de la défe...

Nicolas Schmit: "L’extrême droite, des patriotes de pacotille!" | Caroline DE CAMARET

Nicolas Schmit: "L’extrême droite, des patrio...

| Caroline DE CAMARET | 2024

Nicolas Schmit veut "se rapprocher des citoyens européens et de leurs attentes par rapport à l’Europe". Si cette "proximité" dans la course à l’Europe est "fondamentale" pour le Commissaire, il ne doit pas oublier la concurre...

Focus sur l'Allemagne et l'alliance des droites européennes | Caroline DE CAMARET

Focus sur l'Allemagne et l'alliance des droit...

| Caroline DE CAMARET | 2024

Également au sommaire de cette émission :Les objets de notre quotidien que l’Europe a changés : aujourd’hui tous sur vos écrans ! Christophe Préault, directeur du site d’information Toute l’Europe nous explique comm...

Pascal Lamy:"C'est quand l'extrême droite accède au pouvoir qu’elle recule" | Caroline DE CAMARET

Pascal Lamy:"C'est quand l'extrême droite acc...

| Caroline DE CAMARET | 2024

Les résultats de ces élections "hybrides" car capitales sur le plan européen mais aussi au niveau national marquent selon Pascal Lamy "une légère poussée à droite au Parlement européen mais qui reste contenue" et moins forte que c...

Alexander Stubb:"L'Otan a beaucoup gagné et la Finlande a gagné aussi" | Caroline DE CAMARET

Alexander Stubb:"L'Otan a beaucoup gagné et l...

| Caroline DE CAMARET | 2024

Alexander Stubb estime que l’entrée de son pays dans l’Otan apportera "plus de valeur ajoutée" à l’organisation grâce au "million de Finlandais ayant effectué leur service militaire" et à la position stratégique du pays, qui doubl...

Philippe Etienne:"La Hongrie a clairement cherché à ralentir l'UE sur le soutien à l'Ukraine" | Caroline DE CAMARET

Philippe Etienne:"La Hongrie a clairement che...

| Caroline DE CAMARET | 2024

Certains pensent que le président américain Joe Biden n’a plus les capacités de rempiler pour un deuxième mandat et devrait céder sa place. "Le débat télévisé a été totalement manqué", nous dit Philippe Etienne, "il y a ...

Chargement des enrichissements...