Et il ne vous aura pas échappé que le week-end de Pâques approche, vu le nombre d’œufs, poules, lapins et autres petits poissons en chocolat qui nous entourent dès qu’on met le pied dans un magasin…
Mais, ce chocolat (quand il n’est pas contaminé aux salmonelles), savez-vous ce qu’il contient ? D’où il vient ? Comment le cacao est cultivé ?
On écoute Yann Laurans le directeur biodiversité du WWF France :
"C’est très difficile de dire : "Ce chocolat-là, celui qui est sur votre table à tel moment, il a été produit dans telles conditions, avec telles garanties etc., parce que tout cela est globalisé dans une énorme machine, un énorme système de transformation qui mélange tout."
Tout départ il y a des fèves de cacao, mais la structuration de la filière la rend totalement opaque…
"C’est une filière qui a énormément de tout petits producteurs, environ 5 millions, et des dizaines de millions de consommateurs et entre les deux quelques grosses entreprises qui transforment tout ça"
Ces gros groupes comme Nestlé, Mars, Ferrero, Mondelez entre autres passent donc sous silence les conditions catastrophiques dans lesquelles est cultivé le cacao, aussi bien en termes social, humain, qu’environnemental. Le plus gros producteur au monde, ce n’est pas l’Amérique du Sud, où est pourtant apparu le cacao comme nourriture mais aussi monnaie d’échange il y a quatre siècles, non, c’est aujourd’hui la Côte d’Ivoire, pays d'où proviennent 46% des 4,8 millions de tonnes annuelles de cacao. C'est d'ailleurs en Côte d’Ivoire que travaille François Ruf, économiste au Cirad, spécialiste des stratégies des planteurs de cacao. Et il est clair :
Le cacao c’est l’histoire de la déforestation
Pourquoi ? Parce que le cacaoyer a besoin de sols très fertiles que l'on trouve dans les forêts tropicales. Donc on coupe pour faire plein soleil sur la plante, qui produit à fond, et hop, quand c’est terminé, on change, en trouvant une autre parcelle, et rebelote. Résultat, en Côte d’Ivoire, il n’y a presque plus de forêts, et le responsable est tout trouvé pour François Ruf :
"A 80% c’est le cacao, l’industrie du chocolat essaie de faire croire autre chose en disant qu'il y a aussi l'hévéa ou le palmier… Evidemment il y a l'industrie du bois mais bien souvent l'hévéa et le palmier viennent en remplacement d'anciennes parcelles de cacaoyer ou de caféiers, donc c’est surtout le cacao et un peu le café"
Confirmation de Yann Laurans au WWF, auteur également de plusieurs études sur le cacao, avec un chiffre au niveau mondial cette fois :
On dit qu’en 15 ans le cacao à lui seul est responsable de la déforestation de plus de 2 millions d’hectares
"Aujourd'hui la filière cacao est globalement très problématique car elle se fait beaucoup au détriment des écosystèmes et en faisant travailler des enfants. Rien qu'en Côte d'Ivoire et au Ghana je crois qu'il y a 1.5 million d’enfants au travail. C'est une filière très loin d’être responsable"
Rassurez-vous, on a les boules. Camille a donc contacté le directeur de l’ONG chantre du commerce équitable Max Havelaar France, Blaise Desbordes, pour savoir comment trouver un chocolat un peu correct, on va dire :
"Les certifications représentent à peine 5% du marché des 350 000 tonnes de produits chocolatés français l'année dernière. C’est absolument inacceptable d'imaginer que 95% des produits de plaisir quotidien pour nous tous, que 95% n’aient pas de garanties minimum en 2022 !"
Exemple chiffré : sur les 7,3 kg de chocolat qu’on mange chaque année en France, 330 grammes seulement sont certifiés Max Havelaar par exemple. Avec en plus des trous dans la raquette, soulignés par le WWF :
Le commerce équitable ne veut pas dire que c’est bio et ni un label équitable, ni un label bio ne signifient que c'est sans déforestation.
De quoi s’arracher les cheveux ou en tout cas se demander si la solution serait donc d’arrêter de manger du chocolat ? Yann Laurans rassure :
"Mangez en moins mais mangez en mieux, il faut faire un peu confiance aux labels même s'ils ne sont pas parfaits, pour qu'ils aient le pouvoir de marcher et d'imposer des exigences intéressantes aux producteurs."
Et aux multinationales, car le directeur de Max Havelaar ne veut pas qu’on se trompe de cible :
C’est la pauvreté qui fait ça, ce ne sont pas que les producteurs méprisent la forêt bien sur que non!
Le problème pour lui c’est le prix que touchent les producteurs de cacao : 7 centimes sur une tablette. Ça ne permet pas de renouveler ou entretenir les cacaoyers, donc comme je le disais, une fois que la parcelle a produit, ben on recommence ailleurs. Cercle vicieux, mais aujourd’hui les entreprises sont frileuses pour augmenter ce prix…
Et pour François Ruf, en Côte d’Ivoire, augmenter les prix ne suffirait pas de toute façon, il faudrait aussi protéger les forêts en parallèle, bloquer les accès. Un système totalement déstructuré pour lequel le chercheur voit 2 responsables.
L'État qui a laissé faire ou encouragé, et les multinationales qui tiennent des discours mensongers en prétendant qu'ils militent pour un cacao zéro déforestation, durable et qui dans leurs pratiques vont très peu dans ce sens. Tout ça c'est du baratin parce que c'est impossible à tracer !
Attention donc aussi aux auto-labels. Evitez les géants industriels, regardez l’origine, Pérou ou Equateur par exemple c’est mieux, et attendons tous de voir si les directives européennes dans les tiroirs et l’initiative française cacao durable sont efficaces. D’ici là, vous pouvez remerciez Camille, l’orgie de chocolat ce week-end sera peut-être moins grosse que prévue !