En Californie, quand un agriculteur a besoin d’eau, il peut en acheter à un confrère qui veut bien lui en vendre, fût-il distant de lui de plusieurs centaines de kilomètres. C’est aussi valable pour une collectivité, une entreprise, et même plus récemment une ONG. La main invisible du marché redirige, prélève, reverse l’eau d’un territoire ou d’une exploitation à l’autre.
Poussés par une législation locale favorable, des marchés de l’eau se sont développés dans les années 1980 en Californie et dans une dizaine d’autres États de l’Ouest des Etats-Unis, où les disparités de climat sont importantes de part et d’autre de la Sierra Nevada. L’ouvrage de l’économiste américain Terry Anderson, “Marchés de l’eau : activer la pompe invisible”, plaidait pour le développement de ces dispositifs, plus efficaces pensait-il que des instruments réglementaires comme des taxes ou subventions. Mais ces échanges ont un coût très élevé, ne serait-ce que du point de vue du transport car ils nécessitent l’usage de canaux, voire de citernes. En effet, la législation californienne ne permet pas d’échanger d’eau virtuelle : le vendeur doit la livrer à l’acheteur. Si cette loi limite le risque de spéculation, les marchés financiers ne se privent pas pour autant de mettre en circulation des instruments adossés au cours de l’eau, laissant planer la crainte d’une financiarisation du secteur comme on la voit en Australie.
Quel contexte juridique et climatique a permis l’émergence des marchés de l’eau dans l’Ouest américain ? Comment ceux-ci s’organisent-ils concrètement ? Sont-ils efficaces en termes d’accès à l’eau ?
Quel contexte juridique et climatique ont permis l’émergence des marchés de l’eau dans l’Ouest américain ? Comment ceux-ci s’organisent-ils concrètement ? Sont-ils efficaces en terme d’accès à l’eau ?
Julie Gacon reçoit Olivier Petit, maître de conférences en économie à l’Université d’Artois et chercheur au Clersé (CNRS-Université de Lille) et Charles Regnacq, chercheur postdoctoral à PSAE (INRAE-AgroParisTech).
Olivier Petit explique comment le marché des droits d'eau s'est ouvert à une diversité d'acteurs : “au départ, en Californie, les marchés de droits d’eau ont été développés pour l’important secteur agricole. L’État produit à lui seul 40% des fruits et légumes des États-Unis. Progressivement, les municipalités, qui connaissent un boom démographique, ont commencé à les utiliser. À partir des années 1970, des ONG de préservation de l'environnement vont commencer à acheter des droits pour préserver les écosystèmes.”
Charles Regnacq nuance les peurs suscitées par la financiarisation de l'eau en Californie : “En Australie, les instituts financiers peuvent spéculer sur l’eau. Au contraire, la loi californienne est extrêmement claire : l’eau ne peut être utilisée que pour des usages spécifiques : agricole, municipal, industriel ou environnemental. Les banquiers par exemple ne peuvent pas acheter de l’eau.”
Pour aller plus loin :
Seconde partie : le focus du jour
Les ravages de la privatisation de l’eau au Chili
Avec Chloé Nicolas-Artero, chercheuse postdoctoral au Politecnico di Milano, chercheuse associée au Centre de recherche et de documentation sur les Amériques (CNRS).
Des systèmes de marché de l’eau existent également au Chili, où ils s’intègrent à un modèle économique ultralibéral plus large, actuellement remis en cause. Alors qu’une méga-sécheresse frappe le pays depuis plus d’une décennie, ce modèle d’échanges, dominé par les acteurs de l’industrie extractiviste, est loin d’avoir permis un accès équitable à l’eau. En effet, tandis que les mines et l’agriculture intensive se l’accaparent, plus de 300.000 ménages ruraux en sont privés, dépendant du passage de camions-citernes.
“L’article 19 de la Constitution chilienne reconnaît la propriété privée des droits sur l’eau concédés par l’État à partir des années 1980. [...] Toutefois, l’accaparement de l’eau par le secteur extractiviste s’explique au-delà du cadre constitutionnel. De nombreuses lois privilégient l’usage de l’eau pour ces secteurs : agriculture d’exportation, mines ou même immobilier” analyse Chloé Nicolas-Artero.
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