“Tout, partout, tout le monde”. Voilà en quelques mots le constat dressé par l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies dans son dernier rapport paru en 2022 sur la consommation en Europe. Autrement dit : une plus grande diversité de produits consommés, dans tous les territoires et par toutes les classes sociales. Si le cannabis reste de loin la drogue la plus consommée (7 % des 15-64 ans, soit 22,2 millions de personnes), la cocaïne arrive en seconde place avec 3,5 millions d’adeptes sur le continent. En tout, ce sont 29 % des européens de 15 à 64 ans qui ont consommé au moins une fois une substance illicite dans leur vie.
Partant du constat que la guerre à la drogue a échoué à faire reculer la consommation, nombreux sont les pays à avoir repensé leur politique. Moins de répression, un autre regard sur les toxicomanes et le phénomène de dépendance, voilà près de vingt ans que de nouvelles politiques, dites de réduction des risques, se mettent en place partout en Europe.
Quel bilan aujourd’hui ? Quelles limites ? Comment le débat entre répression et prévention a-t-il évolué ces dernières années ?
Julie Gacon reçoit Marie Jauffret-Roustide, sociologue et chercheuse au centre d’étude des mouvements sociaux à l’INSERM, membre du comité scientifique de l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies.
“Bien qu'elle n’ait jamais été limitée à l’espace urbain, l'augmentation de la consommation de drogues en milieu rural s'explique notamment grâce au développement de l’accessibilité via internet. En parallèle, la baisse des prix a entraîné une démocratisation des usages. La consommation de cocaïne par exemple n’est plus cantonnée à la jetset, mais s'élargit vers des classes plus populaires. Routiers, marins-pêcheurs ou serveurs l’utilisent aujourd'hui pour tenir les cadences au travail” analyse Marie Jauffret-Roustide.
“À partir des années 1970 et surtout 1980, les politiques européennes de lutte contre les drogues opèrent une véritable bascule vers la réduction et la prévention des risques. L’épidémie de sida touche massivement les usagers de drogues, tuant des centaines milliers de jeunes. Les modèles à la pointe sont comme les Pays-Bas, l’Allemagne et la Suisse mettent en place des salles d’injections : on ne cherche plus à imposer le sevrage, mais à permettre une prise de drogues dans des conditions plus sûres” explique Marie Jauffret-Roustide.
Seconde partie : le focus du jour
La Suisse, pionnière des politiques de réduction des risques
Avec Jean-Felix Savary, ancien secrétaire général du Groupement romand d'études des addictions (GREA) et directeur de la Haute école de travail social, l’une des six hautes écoles de la HES-SO Genève.
On les appelle "espaces de consommation sécurisés". Dans ces lieux gérés par des professionnels de santé ou des travailleurs sociaux, les consommateurs de drogues sont accueillis dans un espace conçu pour réduire les risques liés à l'addiction (overdose, transmission d'infection). Si ce type de dispositif existe dans beaucoup de pays, la Suisse, qui en compte une douzaine sur son territoire, fait figure de pionnière. C’est à Berne en 1986 qu’ouvre la première salle d’injection. Une manière à l’époque de répondre à la crise dites des "scènes ouvertes" alors que de nombreux toxicomanes se retrouvaient dans les parcs ou sur les places des grandes villes pour consommer. Comment la Suisse s’est-elle retrouvée au premier rang des politiques de réduction de risques ? Quel est aujourd’hui le modèle suisse en matière de politique de consommation de drogues ?
Engagée dès la fin des années 1980 dans une politique de réduction des risques, le modèle suisse ne faisait à l'époque pas l'unanimité dans les instances internationales de lutte contre les drogues comme l'ONU. “Pendant une dizaine d’années, nos diplomates se sont fait remonter les bretelles. La Suisse a tenu bon et aujourd’hui, elle est passée de mauvais élève à exemple à suivre selon les Nations unies qui font la promotion de nos dispositifs” explique Jean-Felix Savary.
Références sonores & musicales
Une émission préparée par Mélanie Chalandon.