"Je voudrais vous raconter l'histoire du silence, ou plutôt, l’histoire d’une femme. Elle est passée maître dans l’art du silence, dans l’art des silences. Car il y a tous types de silences. Des silences courageux, et des silences lâches. Des silences amoureux, et des silences haineux. Des silences qui font du bien, et d’autres qui font mal. Mais il faut avouer que ça se joue parfois à rien. Prenons le silence de l’analyste : il fait du bien, ce silence humaniste, lorsqu’il permet au patient d’entendre ce qu’il vient de dire, et de l’entendre d’autant plus que c’est lui qui l’entend, le comprend, non quelqu’un qui le lui explique en l’infantilisant. Mais il peut aussi faire du mal lorsqu’il laisse le patient s’enfoncer dans son ressassement, dans sa rumination. Et le silence dans le couple ? Est-il chargé de l’onde de leur amour ou annonce-t-il déjà le début de la fin ? Sont-ils tellement bien ensemble qu’ils supportent ce silence, ou n’ont-ils tout simplement… plus rien à se dire ? Difficile de le dire… Il y a le silence de celui qui manque de mots : il se tait parce qu’il ne sait comment dire cette souffrance dont il souffre alors doublement. Et il y a le silence de celui qui a les mots mais préfère se taire, ne pas ajouter au vacarme du monde. A quoi bon ajouter du bruit au bruit, se demande le sage bouddhiste, se demande le sage sceptique ? Pourquoi toujours gloser, jacasser, commenter, interpréter ? Si la parole est le propre de l’homme, le silence est peut-être celui des êtres supérieurs… Tout cela, elle le sait, elle en use et en abuse, elle joue de tous les silences, utilise le silence aussi bien pour dire la gêne, l’hésitation, que l’amour, le bonheur… Rien de mieux, dans ce dernier cas, que de se taire pour laisser le champ libre au regard : il faut parfois que les lèvres se ferment pour que les yeux se mettent enfin vraiment…à parler…
Pour en parler de tous ces silences, des silences responsables comme des silences coupables, nous recevons une actrice qui ressemble peut-être un peu à cette femme, Céline Sallette, actrice mais aussi réalisatrice et scénariste, à l’affiche du film Les Algues Vertes de Pierre Jolivet, qui dénonce justement le scandale d’un silence, le scandale d’une omerta. Elle nous a rejoint dans la caverne de France Inter, sous le soleil de Platon, pour nous aider à réfléchir à cette difficile question : que disent nos silences ?"
Céline Sallette, une philosophie de l'humilité et du magnétisme
Céline Sallette est à l'affiche cet été du film Les Algues Vertes, de Pierre Jolivet, adapté de la BD de la journaliste Inès Léraud sur le scandale des algues vertes, un désastre écologique et social, ou comment tout un système a maintenu l'omerta sur un phénomène qui défigure le littoral breton et menace la santé de ses habitants depuis des années... « Ce n’est pas du tout un film qui est contre les agriculteurs, mais sur l’agriculture intensive dont les agriculteurs sont les premières victimes. Ils doivent utiliser de plus en plus de machines, deviennent esclaves de ce système économique au même titre que animaux et les terres. »
Prendre la parole, briser le silence est souvent vu comme un acte de courage, or dans la philosophie il y a deux idées du courage. Une idée platonicienne, selon laquelle il y a une essence, un absolu du courage. Et une idée aristotélicienne qui objecte que les grandes vertus ne sont pas des absolues mais des justes milieux, selon laquelle on va tâtonner le courage, à égal distance entre deux choses, la lâcheté et la témérité. « La lâcheté n'intervient que lorsqu'il y a une prise de conscience, sinon c’est de l'inconscience. »
« Quand le micro est tendu à ceux qui n’ont pas la parole, la métaphysique du monde change, on entend d’autres voix. »
Le silence au cinéma : « Quand on dit “silence ça tourne”, cela veut dire qu’on laisse la place à l’histoire. Souvent ce qui doit être silencieux c'est le cinéma, les gens qui sont sur le plateau. Dans la vraie vie il n'y a pas vraiment de silence, tout est rempli. Le silence n’existe pas vraiment, mais le silence des gens de cinéma existent. »
Céline Sallette, une philosophie de l'humilité et du magnétisme, l'humilité dans l'acceptation de la limite et la magnétisme dans une étrange présence, pleine de silence, mais un silence rempli de mots, d'émotions, de mystère...
« Le silence c’est la question de la présence quand on se tait avec les mots on peut écouter son son, son cœur, ses vibrations, son battement. Je crois que le silence n’existe pas vraiment. »
Céline Sallette prépare un film sur Niki de Saint Phalle, dont elle signe le scénario et la réalisation, avec notamment Charlotte Le Bon (date de sortie encore inconnue).
Archives et références
- Le morceau “4'33”, de John Cage, composé de quatre minutes trente-trois secondes de silence, mais où il enregistre plutôt des gens, les bruits, les respirations qu'ils font, quand ils écoutent le silence
- La bande dessinée Algues Vertes, l'histoire interdite, d'Inès Léraud et Pierre Van Hove (2019, éditions Delcourt)
- Extrait du film Snow Therapy, de Ruben Östlund (2015)
- Extrait du film Le Grand Restaurant, avec Louis de Funès, de Jacques Besnard (1966)
Programmation musicale
Blinding Lights*, de The Weeknd
Ready Baby*, de Jeanne Added