Syracuse

Après une courte carrière de photographe pour entreprises, Raphaël Halet devient travailleur frontalier entre la France et le Luxembourg, dans un cabinet de conseil et d'audit nommé PricewaterhouseCoopers. "C'est une entreprise qui fait du conseil, du commissariat aux comptes, de l'audit des entreprises, de la comptabilité, plus simplement de l’expertise fiscale. C'est un peu ce qu'on voit dans les films américains, c'est-à-dire des grands immeubles en verre, avec paradoxalement beaucoup de transparence, du verre, etc. Mais au quotidien, le travail est beaucoup plus cloisonné. L’équipe A ne sait pas ce que fait l'équipe B, qui est pourtant à quelques mètres." Raphaël

"Mon employeur a fait venir un huissier pour saisir mon matériel informatique."

Raphaël se retrouve promu dans un autre équipe. "Je suis officiellement team coordinateur, c'est-à-dire le chef d'équipe. Cette fois-ci, c'est une équipe qui fait des projets transverses pour tout le département. Cette équipe va gérer des documents fiscaux qui vont être envoyés aux clients." Raphaël

"Comment une entreprise sans salarié peut faire 500 millions d'euros de chiffre d'affaires ?"

Un jour, Raphaël tombe par hasard sur une enquête de Cash Investigation et reconnaît des documents et des visages qu'ils voient tous les jours. "C'est une énorme prise de conscience parce qu’avec les explications de journalistes du reportage, j'assemble toutes les pièces du puzzle et je prends conscience de l'ampleur de la chose et j'ai une vue d'ensemble du système d'évasion fiscale. Je vois passer au quotidien qui me font penser que c'est très certainement immoral et voire illégal. Comment une entreprise multinationale déclare fiscalement qu'une année elle a fait 500 millions d'euros de chiffre d'affaires et que quelques lignes plus bas, la société n'emploie aucun salarié pour cette même année ? Il faut qu’on m’explique…" Raphaël

Raphaël prend la décision de contacter un journaliste (Edouard Perrin) pour lui faire part de tout ce qu'il voit au sein de son entreprise. Mais en 2012, les lanceurs d'alertes ne sont pas protégés judiciairement, et Raphaël comprend très vite qu'il va être compliqué de dénoncer les évasions fiscales dont il est témoin tous les jours. "A cette époque, on ne parle pas ou très peu des lanceurs d'alerte, il n'y a aucune loi, ni directive européenne ou organisme dédié à ça." Raphaël

"C'est là que ça se corse juridiquement. Ils font une requête sur ordonnance auprès de la présidente du tribunal de grande instance de Metz pour qu'elle les autorise à venir chez moi et mon employeur fait intervenir un huissier pour saisir mon matériel informatique et ma correspondance avec le journaliste." Raphaël

Après le premier procès, Raphaël Halet fait appel pour être protégé et reconnu comme lanceur d'alerte et donc innocenté de toute accusation. "Pourquoi avoir une amende en étant conforté dans ce statut de lanceur d'alerte ? Et comme je trouve ça totalement injuste, je décide immédiatement de faire appel. On a commencé à parler beaucoup de la Cour européenne des droits de l'Homme qui dit que si on respecte ces critères, on est lanceur d'alerte, on doit être innocenté. Pour moi et mes avocats c'est mathématique, ça doit être carré." Raphaël

"Le 14 février 2023, après huit ans de combat judiciaire, la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme reconnaît que j'étais un lanceur d'alerte à 2000 % condamne le Luxembourg pour tout ce qu'ils m'ont fait subir au cours de ces huit ans." Raphaël

Merci à Raphaël Halet.

Pour aller plus loin :

• Matière à penser : L'Ere des lanceurs d'alerte

• Article du Monde : Raphaël Halet, citoyen ordinaire

• Journal des matins de France culture : Des lanceurs d'alerte devant la justice

• Reportage : Rémi Dybowski-Douat

• Réalisation : Somaya Dabbech

• Mixage : Marie-Claire Oumabady

Musique de fin : Bigger Pictures par Atmosphere