Syracuse

Décembre 2009, base militaire française de Tora, bien avant le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan. À quelques encablures de cette caserne nichée dans la vallée de Surobi, des légionnaires gravissent un sommet voisin, surnommé le “Mont Saint-Michel” par les troupes. Il ne s’agit pas d’une mission de reconnaissance, encore moins d’un raid contre les insurgés qui se cachent dans les goulets, couloirs et autres anfractuosités de la montagne. Les militaires sont chargés d’installer une antenne qui permettra à l’armée française de diffuser Radio Surobi, une radio communautaire locale financée par Paris. Une radio en langue pachto dont l’antenne est tenue par des habitants de la vallée comme Aziz ou Nasser, tous deux séduits par ce projet destiné à éduquer et informer une population locale coupée des médias nationaux.

À la tête de cette rédaction, un journaliste français, Raphaël Krafft, qui a accepté de monter radio Surobi en échange de la garantie d’une liberté totale de ton. S'ensuivent deux ans de reportages, d’émissions de radio crochet, de rencontres avec les habitants de la région dont certains se découvrent des vocations de poètes, de reporters ou de comédiens, mais aussi d’accrochages avec l’état-major de l’armée inquiet de voir émerger cet objet radiophonique non identifié.

Comment construire une radio communautaire tant sur le plan logistique qu’éditorial ou humain pour concevoir des programmes répondant aux attentes des habitants ? Dans le contexte de la guerre civile afghane, comment Radio Surobi a contribué à faire évoluer le débat public et les mentalités sur des sujets de société comme le droit des femmes ? Et enfin, comment ces émissions ont suscité des vocations -artistiques, politiques ou journalistiques- qui ont fini par nourrir l’antenne de Radio Surobi ?

Julie Gacon reçoit Raphaël Krafft, journaliste, documentariste et fondateur de Radio Surobi, une radio communautaire afghane.

Pour Raphaël Krafft, cette radio a permis de combler le vide informationnel dans lequel le territoire se trouvait plongé depuis des années : “La vallée de Surobi est très montagneuse donc les radios de Kaboul ou de Jalalabad ne passent pas. La bande FM est vierge de toute radio locale. Le taux d’équipement en télévision est quasi nul et la presse écrite est très peu lue, car les trois-quarts de la population sont analphabètes.”

“Les radios communautaires visent souvent à pallier les absences de l’État dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la tolérance religieuse ou même pour permettre aux gens de communiquer entre eux. Par exemple, on invitait le médecin tous les lundis contre un plein d’essence pour qu’il dispense ses conseils” explique-t-il.

Raphaël Krafft a voulu éviter d’imposer une empreinte occidentale à la façon de travailler des journalistes afghans qu'il formait : “Lorsque je leur enseignais le reportage avec des notions de base du journalisme comme les cinq W ou la pyramide inversée, je me suis rendu compte que ça ne collait pas avec la langue pachto. J’ai donc préféré les laisser raconter le réel à leur façon, et c’était très bien comme ça.”

Pour aller plus loin :

• Raphaël Krafft est l'auteur de "Radio Surobi" publié aux éditions Marchialy en mai 2023.

Seconde partie : le focus du jour

Colombie : des radios pour réinventer l’imaginaire politique

Avec Erica Guevara, maîtresse de conférences à l’université Paris-8 Vincennes Saint-Denis.

Contrairement à Radio Surobi qui a gagné la confiance de ses auditeurs en traitant frontalement et objectivement la guerre civile afghane, en Colombie, les près de 1 000 radios communautaires qui émettent aujourd’hui ont séduit les civils en leur proposant des programmes alternatifs et en construisant un imaginaire politique à mille lieux du conflit armé qui a officiellement pris fin en 2016. Nées en 1947 avec radio Sutatenza, comment ces stations contribuent-elles à éduquer et à pacifier la société colombienne ?

Érica Guevara est formelle, les radios communautaires colombiennes ne dépolitisent pas le débat public : “Les radios communautaires se donnent comme objectif de ne pas parler du conflit armé, ce qui est en vérité profondément politique dans un pays traversé depuis 70 ans par un conflit armé. C’est par exemple de donner à des mouvements sociaux pacifiques des espaces d'expression citoyenne et civile.”

Références sonores & musicales

• Sons d’archives de Radio Surobi envoyés par Raphaël Krafft (générique de l’émission dédicace, extrait d’un journal de 14h, lecture de La Perle de John Steinbeck lu par Aziz Rahman)
• Extrait d’un documentaire consacré à l'insurrection afghane et à la notion pachtoune de "frère triste" qui désigne une certaine frange des insurgés (France Culture - 02/08/2010)
• Musique : “Meena darogh de we” de Ghazala Javed, chanteuse pachtoune, populaire au Pakistan et en Afghanistan
• Jingle promotionnel de Radio Sutatenza, la première radio communautaire créée en Colombie (1947)

Une émission préparée par Barthélémy Gaillard.