L’accent excepté, il aurait été tout à fait vraisemblable d’imputer à Emmanuel Macron les mots prononcés par Mark Rutte lors d’une conférence donnée à Sciences Po Paris le 9 mars 2022. Deux semaines après l’invasion russe de l’Ukraine, le Premier ministre néerlandais rappelle la quête “d’autonomie stratégique” européenne et la nécessité de “défendre le mode de vie européen” quel qu’en soit le prix.
Le prix était pourtant longtemps le premier souci des Pays-Bas, qualifiés de frugaux voire taxés de radins par leurs partenaires européens. En mars 2020, au plus fort de la pandémie de Covid-19, alors que les Vingt-Sept débattaient d’un emprunt commun pour surmonter la crise, le ministre des Finances néerlandais Woepke Hoestra avait balayé cette option en pointant du doigt l’incurie budgétaire de certains de ses partenaires méridionaux, ce qui n’avait pas manqué de susciter des réactions outrées en Italie, en Espagne, au Portugal mais aussi en France.
Trois ans plus tard pourtant, Mark Rutte n’a jamais semblé aussi aligné sur les positions d’Emmanuel Macron, qui lui a rendu visite en avril, une première pour un chef d’Etat français depuis 2000. Une visite conclue par la signature d’un accord sur les semi-conducteurs, nerf de la guerre industrielle mondialisée que l’Europe entend mener contre la Chine et les Etats-Unis.
Construit sur les valeurs de libre-échange et de rigueur budgétaire, comment les Pays-Bas ont évolué au gré des crises -Brexit, pandémie, guerre en Ukraine- qui ont agité l’Europe ces dernières années ? Plus largement, en tant que pays fondateur du projet européen, comment les Pays-Bas se sont imposés comme un acteur important sur le continent ? Et enfin, comment l’idée européenne est devenue un élément structurant de la vie politique nationale ?
Julie Gacon reçoit Christophe de Voogd, historien affilié à Sciences Po, président du Conseil scientifique et d’évaluation de la Fondation pour l’innovation politique ainsi que Niek Pas, historien affilié à l’université d’Amsterdam.
Cristophe de Voogt explique comment les Pays-Bas sont devenus les grands défenseurs de la rigueur budgétaire : "Dans les années 1980, les Pays-Bas présentaient un important déficit. Les Hollandais ont fait de très gros efforts pour le faire disparaître, en adoptant des réformes comme la retraite à 67 ans, contrairement aux États-membres du Sud. Quand ils ont accepté le plan de relance post-covid, c’est donc seulement en contrepartie d’une réduction de leur contribution au budget européen, de la conditionnalité des aides à l’avis des autres États-membres et du caractère provisoire de la capacité d’endettement.”
Selon Niek Pas, les Pays-Bas ne sont pas aussi enthousiastes sur le développement d’une autonomie industrielle en Europe que ne le laisse penser les discours de Mark Rutte : “Sur la question de l’indépendance stratégique, les Pays-Bas avancent, mais de manière hésitante. L’arrêt des exportations de machines servant à la production des semi-conducteurs en Chine est un bon exemple : il a été imposé par les États-Unis jamais le gouvernement néerlandais n'aurait pris cette initiative.”
Pour aller plus loin :
Seconde partie : le focus du jour
Aux Pays-bas, l’impasse climato-politique
Avec Stefan De Vries , journaliste correspondant des Echos à Amsterdam et correspondant Europe pour BNR Nieuwsradio.
Si Mark Rutte a infléchi son discours en faveur d’une intégration européenne au-delà des seuls aspects économiques ces derniers mois, ce repositionnement n’est pas sans conséquence sur la scène politique intérieure. En mars dernier, le parti des agriculteurs citoyens, ou BBB, a remporté les dernières élections locales sur un programme résolument opposé au plan de réduction de la pollution à l’azote mis en place par le gouvernement pour respecter les engagements du Pacte vert européen.
Stefan De Vries analyse les succès électoraux du BBB : “Les entreprises agricoles aux Pays-Bas sont très high-tech et très grosses avec des propriétaires souvent millionnaires. Leur poids économique n’est pas énorme -1,5% du PIB pour la moitié de la superficie du pays- mais politiquement ils sont très puissants. Ce parti a d’ailleurs été fondé en partie par une agence de communication pour le secteur agro-alimentaire. C’est donc un parti mais aussi un lobby.”
Références sonores & musicales
Une émission préparée par Barthélémy Gaillard.