A quoi ressemble le paysage politique dans nos démocraties, longtemps structurées par le clivage central droite/gauche ?
Dans nombre de pays européens, au cours des années 90, celui-ci avait été progressivement estompé par l’opposition entre pro et anti-européens. Il y avait des fédéralistes du centre-droit et du centre-gauche. Quant aux souverainistes, eux aussi, provenaient tantôt de la droite, tantôt de la gauche, mais ils convergeaient. Plus récemment, on a cru pouvoir remplacer ce partage par celui qui distinguerait les partisans de l’ouverture de ceux de la fermeture. Mais ces notions sont bien vagues. On peut être favorable au libre-échange commercial, à la mondialisation, tout en étant réclamant un contrôle plus rigoureux des flux migratoires. Et réciproquement.
Les dernières élections, toujours en Europe se sont jouées sur la division de l’électorat entre populistes et – disons, faute de mieux, progressistes. Salvinistes versus macroniens.
Le clivage droite/gauche est-il pour autant moribond ? Pas complètement, si l’on en croit le dernier sondage Odoxa. Certes, un fort pourcentage d’électeurs, en France ne se reconnaissent plus dans cette grille de lecture, qui la jugent dépassées : 45 % disent « ne pas se positionner sur cette échelle ». Mais il en reste 24 % pour se dire « de droite », et 17 % pour se déclarer « de gauche ». 13 % se plaçant "au centre". Il n’y a plus guère que ceux des médias, qui cherchent à hystériser le débat public pour tenter de nous faire croire que notre vie politique serait structurée par une querelle frontale entre droite dure et gauche radicale. On voit beaucoup Zemmour, les Gilets Jaunes et les Insoumis sur les chaînes d'info en continu. Dans les urnes, ils ne pèsent pas bien lourd.... Pourtant, on le voit, les catégories de droite et de gauche n'ont pas disparu.
Mais qu’en est-il aux Etats-Unis ? Comment s’y structure le débat politique et quelles sont les chances respectives de l’improbable Donald et des différents candidats à l’investiture démocrate ?
Combinant une grille de lecture en termes de valeurs, et les derniers sondages de l’Institut PEW, Richard Tafel, président du centre de planning stratégique Public Squared, vient de proposer une typologie électorale assez convaincante.
Il montre, en particulier, qu’il existe, à côté d’une droite traditionnelle, une gauche qui l'est également. Il la qualifie de « pratiquante et diverse ». Quelle que soit la religion à laquelle elles se réfèrent, ce sont des personnes qui se reconnaissent dans les valeurs de gauche, tout en estimant qu’il est « nécessaire de croire en Dieu pour être moral et avoir de bonnes valeurs. » Elles sont souvent âgées et pèsent 6 % de l’électorat.
On connaît mieux la droite traditionaliste parce qu’elle fait l’objet d’une attention soutenue de la part des médias. Ce sont les « country first Americans ». Ils ont peur que l’Amérique perde son identité. Avec le même pourcentage que les Démocrates « pratiquants et divers », 6%, ils votent en masse pour Trump.
Les modernistes se divisent aussi entre droite et gauche.
Face à ces traditionnels, Tafel distingue également modernistes de gauche – il les appelle « Opportunity Democrats » et modernistes de droite. Les Opportunity Democrats, ce sont si vous voulez les clintoniens. Ils croient au rêve américain et veulent le faire partager. Ils se définissent comme modérés et inclusifs. Ils sont favorables aux droits des gays et des minorités. En perte de vitesse, ils constituent encore cependant 13 % de l’électorat.
Les modernistes de droite, eux, sont également favorables au business et au marché, mais ils estiment que c’est le Parti républicain qui les défendent le mieux. Ils sont constitués de deux groupes, que distingue d’abord leur âge. 20 % de l’électorat correspond au Core Conservatives – le noyau dur de l’électorat républicain. Ce sont des blancs, principalement de sexe masculin, d’âge mur, surtout intéressés par les questions économiques.
Mais il faut leur ajouter un nouveau groupe, les « Entrepreneurs de nouvelle époque » » - jeunes urbains, d’origine ethnique diverse, favorables aux droits des gays et surtout passionnés d’innovation. C’est la génération des start-uppers et des développeurs. Ils votent républicain, mais cependant hostiles à Donald Trump. Ils comptent pour 9 % de l’électorat.
Post-modernes et déçus.
L’originalité de la nomenclature de Richard Tafel, c’est d’avoir repéré deux groupes « de gauche post-moderne » et un autre de « droite post-moderne ».
Premier cas, celui de ces jeunes éduqués qui rejettent absolument le capitalisme et ne voient le monde – je cite –"qu’à travers le prisme de la politique des identités". Ils sont sectaires et ne fréquentent que ceux qui pensent comme eux. Ils haïssent Trump et sont très engagés. Ils votent en masse et peuvent représenter jusqu’à 25 % de l’électorat.
Mais parmi cette « gauche post-moderne », il faudrait aussi compter le groupe, assez différents, des « Démocrates mécontents ». Contrairement au groupe précédent, ils n'ont généralement pas suivi des études supérieures. Ce sont des Américains qui se considèrent comme laissés-pour-comptes et réclament davantage de programmes sociaux. Beaucoup considèrent que voter ne sert à rien. Ils pourraient cependant peser pour 11 % des voix.
Enfin, la droite post-moderne est composée d’électeurs républicains profondément sceptiques sur le fonctionnement du capitalisme aux Etats-Unis, qu’ils jugent injuste et phagocyté par Wall Street. Ils se sont éloignés du parti républicain, mais se reconnaissent dans Trump. Ils représentent 10 % de l’électorat.
Conclusion : électoralement, la gauche aux Etats-Unis est majoritaire : elle représente 55 % des électeurs contre 45 % pour la droite. Reste à savoir si le Parti démocrate saura trouver, face à Trump, un(e) candidat(e) capable d'en fédérer les sensibilités diverses.