Nouriel Roubini, l’un des prophètes de Wall Street, a gagné son surnom de "Mr. Doom", en annonçant avec quelques années d'avance la crise des subprimes. Et comme ses équivalents du Talmud, ce qu’il annonce est rarement agréable… Il a été surnommé Mr Doom, docteur Désastre, pour avoir dénoncé, en 2005, le caractère hautement spéculatif du marché immobilier américain. Dans l’euphorie de l’époque, les banques avaient prêté, disait-il, beaucoup trop d’argent à de nombreux clients insolvables. Tant que le prix des maisons montait, ce n’était pas grave : en cas d’ennui, il suffisait de vendre pour rembourser, en réalisant une plus-value au passage.
Mais on allait bientôt atteindre le fameux "moment Minsky". Le point de bascule où, comme le coyote de Tex Avery qui continue à courir dans le ciel après avoir sauté de la falaise, mais chute lorsqu’il le réalise, les marchés allaient prendre conscience de l’erreur des banques… La crise des subprimes a démontré qu'il avait raison.
Après les cygnes noirs, les cygnes blancs...
Nouriel Roubini a attendu la mi-février pour nous offrir ses pronostics pour l’année 2020. Et ce qu’il redoute, ce ne sont pas le "cygnes noirs", popularisés par son grand rival, Nassim Nicholas Taieb, mais les "cygnes blancs". Non pas les événements extrêmes hautement imprévisibles, mais des événements extrêmes parfaitement prévisibles. Ou encore, comme il l’écrit de manière imagée, non pas les tornades, mais les ouragans. La scène internationale est lourde, en effet, de conflits potentiels…
Il y a d’abord, la rivalité subie par les Etats-Unis, de la part de quatre puissances révisionnistes : la Chine, la Russie, l’Iran et la Corée du Nord. Chacune d’entre entend modifier l’ordre international en fonction de ses intérêts.
En face, la stratégie de Donald Trump a oscillé entre l’endiguement et les tentatives pour changer leur régime. Et son arme préférée a été économique : sanctions contre l’Iran, agressivité commerciale envers la Chine. Il a été élu pour mettre fin aux aventures militaires extérieures, dont la majorité des Américains ne veulent plus entendre parler.
Réciproquement, ces quatre puissances tentent de déstabiliser l’Amérique, avec les moyens elles disposent. Roubini juge "très probable" une guerre entre l’Iran et les Etats-Unis cette année. Les dirigeants iraniens déploieront tous les moyens pour empêcher la réélection de Trump, parce que ses sanctions menacent leur régime. Une guerre ouverte compromettrait sévèrement ses chances, en déclenchant une hausse immédiate et fulgurante des prix du pétrole.
La menace d'une cyberguerre entre la Chine et les Etats-Unis
La confrontation avec la Chine, Roubini la qualifie de "conflit de basse intensité". Pour l’instant, c’est une guerre froide qui porte sur les technologies, les investissements, la monnaie. Trump est en train de provoquer le "découplage" qu’il cherchait entre les deux puissances qui dominent le monde actuel. Mais ce découplage, en désorganisant de nombreuses productions mondialisées, va avoir des effets dommageables sur la chaîne de valeur.
Et surtout, vus de Chine, un certain nombre d’événements en cours pourraient pousser les dirigeants à une attitude agressive, débouchant sur une redoutable escalade. Même si l’asymétrie des forces respectives n’incite nullement Pékin à prendre l’initiative d’un conflit militaire avec Washington.
Pékin fait face à une série de défis : l’épidémie de coronavirus, les manifestations pro-démocratie à Hong-Kong, la brillante réélection de Tsiang In-Wen à Taïwan. La direction chinoise est sous pression. Le fait que les Etats-Unis entendent renforcer leur présence navale dans le Sud et l’Est de la mer de Chine pourrait pousser Pékin à déclencher une cyber-guerre, tout-à-fait à sa portée.
On s’attend déjà, aux Etats-Unis, à voir la Russie interférer dans les élections de novembre. Mais une cyber-attaque, financièrement dévastatrice, contre des intérêts américains sensibles, est à la portée des Chinois.
Guerre des monnaies, réchauffement climatique et autres désastres
En cas d’escalade entre les deux pays, elle pourrait aller jusqu’à une défausse massive des bons du Trésor américains détenus par la Chine.
"Les Américains ont bien tort de croire que les Chinois n’oseront pas risquer une guerre des monnaies", prévient Roubini. Certes, en liquidant ses créances américaines, Pékin provoquerait une réévaluation préjudiciable de sa propre monnaie. Mais la Chine, comme la Russie d’ailleurs, a récemment accumulé de très importants stocks d’or, dans le but d’amortir un tel choc. C’est d’ailleurs ce qui explique la hausse spectaculaire du métal précieux, l’an dernier. La hausse des cours de l’or que déclencherait nécessairement un pareil scénario pourrait suffire à compenser les pertes enregistrées sur le marché des obligations d’Etat.
Enfin, le changement climatique est susceptible de provoquer des désastres environnementaux plus proches qu’on l’imaginait. Et comme des catastrophes sismiques sont en cours, les deux phénomènes pourraient conjuguer leurs effets. L’activité volcanique sous-marine s’intensifie. Que se passera-t-il si l’acidification des océans conduit à un rapide épuisement des ressources halieutiques ?
Vous le voyez, Mr Doom, mérite bien son surnom de Docteur Désastre. Bonne journée quand même….
par Brice Couturier