L’histoire de la Shoah est une histoire bien connue, dans ses grands mécanismes, ses grandes périodes, sa chronologie. La tenue à Paris d'un colloque international intitulé "Changer d’échelle pour renouveler l’histoire de la Shoah" nous offre l'occasion de nous interroger sur les apports de la micro histoire à l'histoire de la Shoah. Quels sont les présupposés et les limites d’une approche micro-historique ? Quelles sont les spécificités de cette échelle d’observation ? Comment l’étude d’une famille, d’un îlot d’habitation d’un quartier parisien, voire d’un seul immeuble, le suivi d'un convoi, l’histoire d’un ghetto change-t-elle quelque chose dans l’appréhension que nous avons de la destruction des Juifs d’Europe ?
Audrey Kichelewski : En effet, on peut avoir l’impression qu’on a tout dit sur la Shoah. Avec parfois des impressions de saturation. Depuis le début des années 2000 pourtant, de nouvelles études pourtant vont prendre l’histoire "au ras du sol" selon l’expression de Jacques Revel avec la prise en compte des archives locales, notamment dans les pays de l’est, qui ont été ouvertes depuis 1989. Ce qui permet d’avoir une appréhension du processus du bas, pour saisir comment les choses se sont passées concrètement, d’essayer de décentrer le regard. Ce n’est pas de l’histoire locale, c’est très différent, là c’est l’idée que ce regard-là « micro » va réécrire le tout, le « macro ».
Claire Zalc : On sait ce qui s’est passé mais on ne comprend pas forcément comment ça s’est passé.
L’Holocauste avait été tellement important, l’échelle avait été tellement gigantesque, tellement énorme qu’il était facile d’y penser comme à quelque chose de mécanique, d’anonyme. Mais tout ce qui s’était passé s’était passé parce que quelqu’un avait pris une décision, appuyé sur une gâchette, déclenché sur un commutateur, fermé la porte d’un fourgon à bestiaux, caché, trahi. Daniel Mendelssohn, Les Disparus.