Pour de nombreux philosophes, affirmer que chacun de nous est un moi ne semble même pas soulever l'ombre d'une difficulté. Après tout, si nous essayons d'imaginer que nous aurions pu être quelqu'un d'autre, Périclès ou le Masque de fer, nous butons sur le constat apparemment trivial selon lequel nous sommes décidément nous-mêmes et pas un autre. Cette tautologie peut être la source d'un certain étonnement, d'effroi ou d'émerveillement.
Claude Romano est l'invité de L'Heure bleue à l'occasion de la publication de son nouveau livre intitulé L'identité humaine en dialogue (Seuil), dans lequel il montre que le moi est conditionné par l'autre.
Un travail sur l'identité
Avec sa nouvelle publication, Claude Romano travaille sur le problème de l'identité, du soi, du moi, du je. Qu'est-ce que ça veut dire être je ? Il explique, avec des concepts philosophiques, l'extrême individualisme dans lequel nous sommes plongés depuis quelques années, voire même des décennies, mais avec des acmés aujourd'hui qui font que nous ne savons plus distinguer notre je de notre soi. C'est toute une aventure que de tenter de démêler le je du soi.
Pour Claude Romano, les réseaux sociaux encouragent l'individualisme : "Les réseaux sociaux, probablement, donnent une image un peu faussée de ces questions identitaires. Parce qu'en réalité, sur les réseaux sociaux, il faut être quelqu'un, il faut absolument se démarquer. Les réseaux sociaux nous montrent le profond individualisme dans lequel nous sommes plongés. Le fait que nous n'existons en réalité qu'en produisant une sorte d'image idéale de nous-mêmes pour les autres."
Soi défini par les autres
Pour le philosophe, on ne se définit plus par son origine exclusivement, par ses ancêtres, par son rang, par sa lignée.
La question centrale de ce livre est celle de savoir s'il y a un lien entre l'identité et la vérité de la personne devant les autres. Pour lui, la réponse est oui : "La question de l'identité de la personne se pose à mon sens dans le dialogue constant avec les autres, par ce dialogue constant que nous nouons avec les autres."
Claude Romano explique : "Notre identité est mouvante, elle évolue au fil du temps et la façon dont elle se constitue, dont elle se façonne, dont elle peut aussi se transformer, vient des interactions sociales que nous avons avec les autres. Et dans ses interactions sociales, il y a quelque chose qui me paraît important et que justement, par exemple, cette sociologie a complètement ignoré, c'est ce qu'on pourrait appeler la dimension de la vérité, c'est-à-dire que devant les autres, il y a une exigence sociale qui est que nous devons autant que possible être vrai, prendre position de manière vraie sur ce qui nous constitue. Par exemple, quand nous affirmons quelque chose, d'une certaine manière, nous prenons position devant autrui, non seulement sur le fait que c'est vrai, mais aussi sur ce que nous croyons."
Les autres nous permettent en fait non pas d'avoir une identité, mais plutôt de stabiliser notre identité, d'avoir une identité relativement constante. Selon Claude Romano : "C'est l'idée de fidélité à soi. Si nous n'avions pas l'occasion de prendre position devant les autres à travers ce que j'appelle des actes d'engagement sociaux, comme la promesse ou l'assertion, l'affirmation, eh bien au fond, nous aurions une identité purement fluctuante qui varierait d'un moment à l'autre. C'est le regard des autres qui nous permet d'atteindre à une forme de fidélité à nous-mêmes."
🎧 L'émission est à écouter dans son intégralité...
Musiques :
- "In My Life" - The Beatles
- "A Case of You" - Joni Mitchell
- "La Vie" - Arthur H
Archives :
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- Archive non datée de Vladimir Jankelevitch sur comment devenir soi-même
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