Pieds nus, Antoine Mesnage fait des allers-retours sur une sangle suspendue entre deux arbres, pour la beauté du geste. Sans autre balancier que ses bras, il recherche la maîtrise totale de son corps et de ses émotions, il n’a pas droit à l’erreur. Lorsqu’il évoque la peur, il explique : “Il y en a toujours, je pense qu'on ne le ferait pas si elle n’existait pas, on la recherche même, c'est vraiment une peur qui est désirée et qui nous fait du bien et nous permet d’apprécier d’autant plus nos retours sur terre.”
Réputé pour ses eaux noires, le Loch Ness effraie la plupart des nageurs longue distance. Stève Stievenart est l’un des rares à avoir réussi sa traversée : “Je sais que c'est dangereux, mais j'ai accepté le fait qu'il puisse m'arriver des problèmes comme un requin qui m'attaque. Il faut être dans l'acceptation du danger, savoir que tout peut s'arrêter brusquement lors d'une traversée. Le doute n'est pas permis, il faut beaucoup de travail mental, beaucoup de méditation, beaucoup de projection d'images pour essayer d'optimiser au mieux ses appréhensions“.
Le blizzard, les risques de chute dans les eaux glacées et l’ours polaire affamé n’ont pas empêché l'explorateur Jean-Louis Etienne d’atteindre le pôle Nord à pied et en solitaire.
Stimulante, la peur encourage l’aéronaute et psychiatre Bertrand Piccard à se dépasser, parfois elle est aussi son ange gardien ; mais il redoute la panique qu'il combat par l’hypnose. Pour lui, la peur, en nous sortant de notre zone de confort, nous prépare à la vie ; il aimerait qu’on enseigne la gestion du risque de l’existence : “Je dis toujours que je suis un explorateur, dans certains cas un aventurier, mais je ne suis pas un trompe-la-mort, ce n'est pas le danger que j'aime, ce n’est pas la peur que j'aime, c'est la conscience que procure la situation extrême pour nous propulser comme être humain en état de fonctionnement supérieur, plus performant, plus créatif. Je pense que c'est beaucoup mieux d'apprendre aux gens à gérer le risque plutôt qu'à l'éviter.”
Grisé par la peur qui le rend hyper vivant, le champion de BASE jump Enak Gavaggio peut marcher huit heures pour un saut de quelques secondes. Il lui arrive aussi de renoncer. Avec l'âge, il privilégie le plaisir et l’amitié plutôt que la performance et la compétition : “On a tous peur et c'est cette peur qui fait que l’on est hyper vivant. Moi, j'adore ce sentiment de peur où on est à la limite, on a la buée qui monte dans le masque, on est en haut, on se tape les mains, on roule les épaules, on tourne la nuque et à ce moment-là, on sent qu'on commence à être hyper concentré. Et c'est ce sentiment d’hyper concentration qui fait que l’on ne va pas à l'erreur. Et ça sert à ça, la peur. Celui qui n'a pas peur, c'est un suicidaire.”
Skieur de pente raide, Pierre Tardivel surmonte ses peurs grâce à une préparation minutieuse et fait confiance à sa bonne étoile. Il ne s’élance que lorsque les conditions sont parfaites et précise : “Au fond de moi, j'ai toujours eu la conviction que ce ski extrême, je le pratiquais en sécurité”.
Marqueur structurant de la mémoire, la peur est bien la plus puissante de nos émotions, mais elle reste néanmoins honteuse nous rappelle l’auteur Gérard Guerrier. Il décrit les processus bio-chimiques à l’œuvre dans les cerveaux des sportifs et aventuriers de l’extrême. Préparation mentale et entraînements spécifiques leur permettent de mieux l’appréhender.
Avec :
Antoine Mesnage, highliner
Bertrand Piccard, psychiatre, explorateur, aéronaute
Enak Gavaggio, free rider et BASE jumper
Gérard Guerrier, écrivain et ancien deltiste
Jean-Louis Etienne, médecin et explorateur polaire
Pierre Tardivel, skieur de pente raide
Stève Stievenart, nageur longue distance
Prise de son : Christophe Papon et Julien Girard
Un documentaire de Jérôme Sandlarz réalisé par Yvon Croizier.
Bibliographie
Jean-Louis Etienne "Persévérer" (Editions Paulsen, 2015)
Jean-Louis Etienne "Le Pôle intérieur" (Ed. J’ai lu, 2018)
Gérard Guerrier "Eloge de la peur" (Editions Paulsen, 2019)
Gérard Guerrier "Du courage" (Editions Paulsen, 2021)
Liens
Sports à risques, pratiques extrêmes et construction de soi : chapitre 5 du livre de Pascal Duret : Sociologie du sport, 2019.
Isabelle Autissier, Bertrand Piccard... Comment ces aventuriers gèrent-ils leur peur ? A lire sur le site du magazine Géo.
Pourquoi la peur nous donne des ailes ? Article de Gérard Guerrier publié Géo en mars 2020.
Gilles Raveneau : Prises de risque sportives : représentations et constructions sociales in Ethnologie française n°36, 2006.
Guillaume Routier et Bastien Soulé : Jouer avec la gravité : approche sociologique plurielle de l’engagement dans des sports dangereux, in SociologieS,Théories et recherches , 2010.