Il devait être préparé, planifié, ordonné. Le retrait américain d’Afghanistan fut pourtant précipité et totalement chaotique. Les talibans contrôlaient des pans entiers du pays et bénéficiaient de la faiblesse de l’armée régulière afghane. Leur retour n’est donc pas une surprise, mais la vitesse de l’effondrement du régime et le fiasco du désengagement des troupes américaines provoquent la stupéfaction dans le monde entier.
En effet, ce repli - pour ne pas dire reddition - renvoie l’image d’une puissance hésitante, mal-organisée voire en déclin. Un portrait bien éloigné de celui que le président Bush avait voulu peindre il y a vingt ans, lorsqu’il entamait une "Guerre contre la terreur" destinée à punir les responsables des attentats du 11 septembre.
Comment en est-on arrivé là ? Quels bilans tirer de deux décennies de présence américaine sur le sol afghan ? Pourquoi les États-Unis ont-ils échoué à pacifier le pays et à bâtir un nouvel état afghan, et que laisse entrevoir cet échec sur la future place de l’Amérique sur la scène internationale ?
Florian Delorme reçoit Alexandra de Hoop Scheffer, politologue, spécialiste de la relation transatlantique, directrice du bureau parisien du think tank The German Marshall Fund of the United States et Frédéric Charillon, professeur des universités en science politique et spécialiste des relations internationales à l’Université Clermont Auvergne.
L’histoire confirme une « cécité stratégique et culturelle américaine », c’est-à-dire le manque de capacité et de volonté pour comprendre le terrain et la société où ils interviennent. Cela explique le rejet par la population afghane de la présence américaine, une perte de contact qui explique l’échec répétitif du "nation building". Alexandra de Hoop Scheffer
La rivalité avec la Chine va probablement rouvrir la question des bases militaires et des tensions en Asie Pacifique. Dans cette perspective, le redéploiement de l’effort américain est plus probable que la réduction des forces américaines. Frédéric Charillon
Seconde partie : le focus du jour
**La fin de la pensée néo-conservatrice ? **
Le 29 juin dernier, à quelques semaines du retrait américain d’Afghanistan, Donald Rumsfeld meurt à l’âge de 88 ans dans son ranch du Nouveau-Mexique. Avec son grand ami Dick Cheney, il était l'architecte de la guerre en Irak, inspiré par l’idéologie néo-conservatrice qui sous-tend l’interventionnisme militaire américain depuis les années 1980. Un courant dont il est l’un des représentants, mais qui est en déclin depuis la fin de l’ère Bush, comme le montrent les tentatives de retrait d’Obama, les négociations de Trump avec les talibans et le retrait définitif de Biden. Mais ces décisions actent-elles le recul total de l'idéologie néo-conservatrice ?
Avec Marie-Cécile Naves, politologue, spécialiste des Etats-Unis et directrice de recherche à l’IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques) où elle dirige l’Observatoire Genre et Géopolitique.
Les néoconservateurs sont un ensemble de jeux d’influence, incarnés par des intellectuels « hybrides » à la fois lobbyistes, éditorialistes, conseillers du pouvoir gravitant dans des think tanks et évoluant dans un petit cercle géographique à Washington. Ils ne sont pas confinés au camp républicain. Marie-Cécile Naves
Références sonores
- Extraits de deux discours de Joe Biden tenus respectivement les 31 et 17 août à propos de la situation en Afghanistan et du départ des derniers Américains présents à Kaboul (CNN, 31 août 2021 + The Economic Times, 17 août 2021)
- Ambiance d’Afghans à l’aéroport souhaitant quitter Kaboul et ambiance de Talibans fêtant la prise de l’aéroport (août 2021)
- En janvier 2013, Barak Obama évoquait lors d’une visite d’Hamid Karazï à Washington l’idée d’une plus grande souveraineté des forces afghanes (France 24, 11 janvier 2013)
- Extrait d’un point presse de Donald Rumsfeld le 15 octobre 2001 au début de la campagne en Afghanistan, au cours duquel il explique le sens de cette guerre et son élargissement à d’autres pays (C-Span, 15 octobre 2001)
Références musicales
- « Palace Posy » de Boards of Canada (Label : Warp)
- « Ashes of American flags » de Wilco (Label : Nonesuch)