En 2021 l’Australie adoptait une loi obligeant les plateformes numériques à offrir aux organes de presses dont elles diffusent les contenus une compensation financière. Depuis, plusieurs gros groupes médiatiques australiens, en particulier NewsCorp, l’empire de Rupert Murdoch, ont signé des accords avec Facebook et Google, dont les montants sont estimés à plusieurs dizaines de millions de dollars australiens. L’aboutissement d’un long bras de fer entre, d’un côté, ces médias et le gouvernement australien, et de l’autre, les géants de la Silicon Valley. Point de départ du litige : les revenus publicitaires, essentiels à la survie de la presse depuis le tournant numérique et la gratuité qui s’en est suivie, de plus en plus siphonnés par les plateformes. Cependant, la loi australienne, qui pourrait servir d’inspiration ailleurs – notamment au Canada – laisse aux GAFA une importante marge de manœuvre. Le choix d’un système de négociation gré à gré, au détriment d’un barème contraignant, leur permet en effet de fixer eux-mêmes les montants des compensations, et de choisir les médias avec lesquels ils traitent.
Un an après son adoption, quel premier bilan tirer de la loi australienne ? S’agit-il d’une victoire de la démocratie contre les GAFA, ou de Rupert Murdoch contre Marck Zuckerberg ? La collaboration des plateformes au dispositif, en dépit de leur violente opposition de départ, marque-t-elle le début d’une nouvelle ère pour les médias en ligne à travers le monde ?
Les négociations [qui ont commencé avant l’adoption de la loi] entre Google, Facebook et la presse australienne sont liées au fait que la politique à l'égard des GAFA a évolué dans beaucoup de pays. Les géants du numérique ont compris qu’ils allaient devoir passer à la phase d’après : accepter de payer. Mais accepter de payer, à leurs conditions. Joëlle Toledano
Sur les 125 millions de dollars australiens déboursés par Google dans les négociations avec les médias australiens, 110 millions sont allés aux trois grands groupes médiatiques, NewsCorp, Seven et Nine. Les presses régionales n’obtiennent rien, et les médias publics, qui ne vivent pas de la publicité, sont très peu concernés par ce nouveau dispositif. Cette loi renforce donc la concentration des médias et fait peu de place à l'intérêt public. Charlotte Epstein
Florian Delorme reçoit Joëlle Toledano, professeure émérite à l’Université Dauphine-PSL, associée à la Chaire gouvernance et régulation, membre du Conseil national du numérique et Charlotte Epstein, professeure associée en science politique et relations internationales à l’Université de Sydney et chercheuse invitée au Centre CERI/ Sciences Po.
Seconde partie : le focus du jour
En Europe, le droit voisin au secours de la presse
Parallèlement au système australien d’obligation de compensation financière des GAFA envers les médias, l’Union européenne a adopté une directive étendant aux éditeurs de presse la notion de droit voisin. Transposé d’abord par la France, puis par d’autres États-membres, ce texte a permis à plusieurs agences et titres de presse européens de signer des accords forfaitaires avec Microsoft, Google et Facebook, pour l’utilisation de leurs contenus. En quoi ce système se distingue-t-il du système australien ? Quels en sont les atouts et les limites ?
Les GAFA tentent de contourner l’esprit de la législation européenne. Par exemple, Google et Facebook souhaitent consacrer l’essentiel des rémunérations [devant être allouées aux médias], non pas dans le cadre de leurs services de base, mais dans le cadre de services éditorialisés et dédiés à l’actualité qui sont progressivement mis en place par les géants du numérique.
Avec Franck Rebillard, professeur de sciences de l’information et de la communication à l’Université Sorbonne-Nouvelle.
Références sonores
- Présentation de la loi par Josh Frydenberg, le ministre des Finances australien (ABC, 31 juillet 2020)
- Mel Silvia, la directrice générale de Google en Australie, explique pourquoi Google refuse de payer (Google, 21 janvier 2021)
- L'ancien premier ministre australien Kevin Rudd critique la loi australienne (Chaîne Youtube de Kevin Rudd, 1er septembre 2020)
- L'eurodéputé Voss porte la directive réformant les droits d'auteurs à l'heure du numérique (Arte, 27 mars 2019)
Références musicales
- « Dundas, Ontario » de Manitoba (Label : Leaf)
- « The Morning » de Robert Forster (Label : Tapete records)