Né en 1970, Mathieu Pernot est photographe, on pourrait aussi dire monteur, archiviste, grand témoin. C'est en 1995, en photographiant la famille des Gorgan à Arles, qu'il devient photographe. Il y a aussi des projets où les humains se font plus rares : il y a des appartements vidés de leurs habitants, des barres d'immeubles prêtes à s'écrouler sous des explosifs, les murs d'une prison qui va fermer, un hôpital psychiatrique déserté.
Mathieu Pernot poursuit les thèmes de la marge, de l'enferment, des migrations... toujours dans le souci d'aller voir ce qu'on ne voit pas et conscient de l'importance du hors-champ et de la périphérie. Il tente de donner une forme au monde à travers la photographie, mais aussi parfois à travers l’enregistrement, la voix, le témoignage, le document et même les images prises par d'autres. Son geste n'est pas militant, mais politique, citoyen.
Mais avant de faire de la photographie, Mathieu Pernot aurait pu avoir d'autres vies. Il a fait du sport, du judo, à haut niveau, a fait des études scientifiques...
_La photographie m'a permis de vivre toutes ces vies que je ne pouvais pas vivre parce qu'elle m'a mis au contact de gens, d'univers qui n'étaient pas les miens mais que je rêvais peut-être de rencontrer. Si je n'avais pas été photographe, je n'aurais peut-être eu qu'une seule vie. Là j'ai l'impression d'en avoir plusieurs. _
Ne regardez pas qui je suis mais qui je vais devenir.
Lorsqu'il passe le concours d'Arles, Mathieu Pernot a très peu fait de photographies.
_Je n'avais pas les codes. Il m'a fallu beaucoup de temps pour me débarrasser d'un complexe d'infériorité. Mais j'avais une envie, une énergie, cette certitude : je vais devenir photographe. _
La photographie a été présente dans un imaginaire familial. Des expériences aussi, comme lorsqu'il décide d'un projet photographique autour de l'internat de Nice, où il vivait. _J'ai photographié les dortoirs, les couloirs... un travail en noir en blanc. Il y a quelque chose qu'on peut retrouver dans le travail que je fais aujourd'hui. _
J'ai une sensibilité à ce qui se passe à la marge, mais Je ne suis pas dans une tradition humaniste de la photographie.
C'est physique, j'ai besoin à un moment de prendre une photographie. Il faut qu'elle existe.
Mathieu Pernot évoque certaines photographies qu'il n'a pas pu prendre et qui le hantent, des "photographies fantômes", et donne un exemple récent d'une photographie qui n'a pas existé :
Le père de la famille Gorgan que je photographie est mort. J'étais là pour l'enterrement. Je n'ai pas été capable de faire une image. J'avais le besoin mais je n'arrivais pas à la faire parce qu'il n'était pas là pour m'autoriser. J'ai raté ce moment. Il y a des moments qui ne sont pas reproductibles et il ne faut pas rater ce moment.
Il rencontre la famille des Gorgan au cours de sa deuxième année d'école.
_J'ai d'abord photographié les enfants. On reconnaît dans le réel des choses qui nous parlent, leur force d'incarnation. J'ai fait des individus qui avaient une présence magnifique, une grâce, une brutalité en même temps. Mais il faut arriver à se comprendre, il faut qu'il y ait une symétrie. La relation s'invente constamment. La photographie n'est pas seulement le temps de la prise de vue. On essaie de faire au mieux, ensemble. _
J'ai fait une association, il y a un engagement très fort, mais c'est l'engagement d'un individu, pas d'un photographe.
Il a aussi travaillé avec les communautés tziganes, sur le camp de Saliers
Les photos que j'ai c'est pour incarner un visage, une personne. Ces gens sont là pour raconter ce qui a eu lieu.
Dans ces projets ou ceux sur les grands ensembles et les prisons, il avance "un peu comme un chercheur".
_Très vite, je m'ennuie de mes photographies. Une fois qu'elle sont faites, c'est comme si elles n'existaient plus. Une chose qui m'intéresse beaucoup est de construire des récits en faisant discuter les images les unes avec les autres. _
Son projet dans la jungle de Calais évolue peu à peu lorsqu'il découvre le jardin Villemin où se réunissent des Afghans. Il est frappé par l'obscénité de les photographier étant donné la précarité et l'urgence de leur situation : "La seule chose que je peux faire, c'est les photographier le matin tôt lorsqu'ils dorment encore". Et il y a cette rencontre avec Jawad, réfugié, poète, qui va travailler sur les cahiers d'écoliers, sur son histoire. Ce sera Les Cahiers afghans.
Une autre rencontre importante est celle avec un photographe soudanais, Mohamed Abakar, avec qui il partage une manière de travailler.
_Je n'ai aucune réflexion sur la définition que je devrais avoir de mon activité. Documentariste, photographe, plasticien... Ce n'est pas important. Je veux parler de l'objet. _
- une émission enregistrée à l'occasion de Paris Photo 2018 -
>>> Pour aller plus loin, une sélection d'Annelise Signoret >>>
Biographie de Mathieu Pernot, le premier artiste à être accueilli en résidence au Collège de France.
Le grand ensemble de Mathieu Pernot (2005-2006) met en regard trois séries de photographies autour des grands ensembles de logements sociaux construits en banlieue dans les années 1950-70. A voir sur le site des collections du Musée de l’histoire de l’immigration.
Dossier de presse de l’exposition Peuple tsigane, le silence et l’oubli qui s’est déroulée au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon en 2007
En 2010 Mathieu Pernot et Philippe Artières ont été invités à travailler par le Point du Jour et la Fondation Bon-Sauveur sur les archives de l’hôpital psychiatrique de Picauville, dans la Manche. Vidéo en ligne sur YouTube.
A propos de l’exposition La traversée de Mathieu Pernot au Jeu de Paume (2014). Avec un portrait filmé du photographe.
Appelez-moi Dorica : des usages des archives photographiques, par Mathieu Pernot. A propos de Dorica Castra, son installation aux Archives nationales dans le cadre du Mois de la Photo du Grand Paris en avril 2017.