Pour le baron Pierre de Coubertin, père des Jeux Olympiques modernes, les JO constituaient "l’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec l’applaudissement féminin pour récompense", Pierre de Coubertin. Il faudra attendre 1912, pour voir arriver les premières concurrentes féminines aux JO. Conçu par des hommes, et pendant longtemps, pour des hommes, le sport de haut niveau a eu tendance à négliger les questions spécifiques que pose l’entraînement d’un corps qui ne serait pas celui d’un homme cisgenre.
Jöna, la lanceuse de javelot, évoque le dérèglement de ses cycles menstruels, "depuis que je suis arrivée à Nouméa, je n’ai pas eu mes règles une seule fois, ça s’appelle de l’aménorrhée", "lorsque mon premier cycle a sauté, je me suis dit bon, ça doit être normal, c'est quelque chose qui arrive quand même assez souvent aux sportifs de haut niveau" Jöna Aigouy. Mais au-delà de l’arrêt de ses règles, Jöna s'inquiète surtout de dysfonctionnements hormonaux qui pénalisent sa pratique sportive au quotidien, "l’aménorrhée a un impact sur mon système hormonal", "ça doit probablement diminuer mes capacités physiques momentanément : mon corps ne tourne pas bien", Jöna Aigouy.
"Moi qui étais une jeune fille enthousiaste et épanouie, je ne parlais plus : je pensais que ma vie était terminée."
Tout au long de leur carrière sportive, les femmes peuvent être victimes de violences sexistes et sexuelles. Après Metoo, elles sont nombreuses à avoir pris la parole pour dénoncer les comportements de leurs coéquipiers, de leurs entraîneurs, ou de leurs fédérations. Bien avant cette vague de révélations, Catherine Moyon de Baecque, ex-lanceuse de marteau pour l’équipe de France, est agressée sexuellement par plusieurs de ses coéquipiers, lors d’un séjour d’entraînement organisé par l’INSEP. À l’époque, elle décide d’aller voir son entraîneur, pour dénoncer ses agresseurs, "dans un sursaut de révolte, je rassemble mon courage pour aller parler à l'entraîneur national, il ne veut rien entendre et me rétorque que tout cela est naturel", Catherine Moyon de Baecque. La jeune lanceuse refuse de se taire et porte plainte. En 1994, elle obtient gain de cause, et trois des quatre sportifs accusés sont condamnés par la justice. En revanche, ces athlètes sont à peine sanctionnés par la Fédération. Deux d’entre eux participeront aux JO d’Atlanta, dès 1996.
"En 2020, j'ai fait une grosse dépression."
Emma Oudiou est d’une autre génération. La jeune femme de 28 ans était membre de l’équipe de France d’athlétisme, spécialiste du 3 000 mètres steeple, "mon gros objectif, c'était Paris 2024", "j'étais en très bonne voie pour y participer, mais j'ai décidé d'arrêter ma carrière avant", Emma Oudiou. En 2020, Emma fait un séjour en hôpital psychiatrique, où on lui diagnostique une dépression sévère, "je me dis que ça va aller, que c’est juste un petit coup de mou", "mais ça n’a pas du tout été, je suis restée dans cette clinique sept mois", Emma Oudiou. C’est à cette période qu’Emma prend du recul sur sa carrière dans le sport de haut niveau et réalise ce qui lui est arrivé, "j’ai mis des mots : les mots de violence et de maltraitance", Emma Oudiou.
Elle aussi a été victime d’agression sexuelle, de la part d’un entraîneur de l’équipe de France dans son cas, "c'était en 2014, j'avais 19 ans", "ça s'est passé aux championnats du monde juniors, juste avant ma finale", "ça commence par des mains autour, enfin sur les hanches, par me prendre autour de la taille, après, c’était un bisou dans le cou, des mains contre les fesses, puis il a collé son bassin contre le mien", Emma Oudiou. En 2018, Emma porte plainte contre l’entraîneur, mais l'affaire est classée sans suite, "l'entraîneur a été sanctionné par la fédération en première instance, mais il a fait appel et la sanction a été levée", Emma Oudiou.
C’est enfin contre un système violent, car focalisé sur les performances des sportifs, qu’Emma milite aujourd’hui, "il faut se poser ces questions : pourquoi est-ce que j'accepte cette souffrance ? Est-ce que souffrir à tous les entraînements, c'est utile ? Et même pour aller plus loin, pourquoi la performance en fait ? Pourquoi toujours battre des records ? Pour se sentir au-dessus ?", Emma Oudiou.
- Reportage : Adila Bennedjaï-Zou
- Réalisation : Somaya Dabbech
- Mixage : Dali Yaha
Merci à Jöna Aigouy, Frédéric Dagee, Catherine Moyon de Baecque, Emma Oudiou et à Nour Mohammedi pour la lecture.
Musique de fin - Mouton noir, Torngat