Participer aux compétitions sportives représente un certain coût pour les athlètes, davantage lorsqu’il s’agit de compétitions de haut niveau : “Pour une année olympique, je pense qu’un bon budget, c'est 40 000 €. Cela représente le loyer, l'alimentation; tous les besoins vitaux mais aussi les transports et la mobilité internationale.” Jöna Aigouy
Certains sportifs n’ont pas le luxe des sponsors et pour atteindre leurs objectifs de performances et font appel à la générosité de ceux qui les entourent. On les appelle les "athlètes Leetchi".
"Au début, je ne voulais pas, j'avais l'impression de faire l'aumône."
À 24 ans, Jöna Aigouy a été championne de France de lancer de javelot, elle est l’un des meilleurs espoirs de ces Jeux olympiques de Paris. Pourtant, le 22 mai 2022, une rupture des ligaments croisés la paralyse : “ J'ai dû me faire opérer, repartir à zéro, puis renforcer ma jambe. Toute l'année, j'ai dit à tout le monde, je vais être championne de France élite. J’ai dû réapprendre à marcher et à courir.” Jöna Aigouy
C’est après sa blessure qu’elle se rend compte que son projet olympique exigeait d'elle qu'elle ne fasse rien d'autre que s'entraîner : “Lorsque j'ai commencé à établir une stratégie de qualification olympique, je me suis vite rendu compte qu'il fallait que je mette toutes mes cartes sur la table. J'ai décidé d'employer toutes mes économies personnelles, d’utiliser mes aides étudiantes et j'ai travaillé dans une colonie de vacances. Je me suis dit que ça n’allait pas suffire.” Jöna Aigouy
Encouragée par son entourage, elle ouvre une cagnotte en ligne et lorsqu'un journaliste l’interroge, la cagnotte explose : “L'interview sort et ma cagnotte a totalement crashé : en quinze minutes alors que j'étais en train de nettoyer les toilettes de la colonie de vacances où je travaillais, j'ai pris 7 000 €” Jöna Aigouy
"Même en étant numéro 1, on ne gagne pas énormément d’argent."
Pour Frédéric Dagée, la passion pour la discipline arrive par un coup de foudre, une admiration pour les corps sculptés des athlètes : “Je suis devenu lanceur de poids grâce à mon prof de collège en troisième que j’accompagnais au stade d'athlétisme. Je vois un homme arriver en face d'1,75 m pour 115 kilos : des bras énormes, des cuisses énormes, un mec extrêmement musclé comme on n'en voit pas souvent. J'étais émerveillé.” Frédéric Dagée
À 31 ans, il a été sept fois champion de France au lancer de poids, mais lorsqu’il manque une compétition pour des raisons familiales, il est disqualifié pour les Jeux Olympiques de Tokyo en 2021 : “Même si je m’attendais à ce qu’on ne me sélectionne pas, il y avait toujours une part d'espoir. Il y a une espèce de descente aux enfers et j'ai eu un travail vraiment conséquent avec un psychologue, ça m'a beaucoup aidé à avancer.” Frédéric Dagée
Le problème de Frédéric, au moment où il décide de revenir dans la compétition, c'est qu'en suspendant sa carrière, il a aussi perdu une bonne partie des aides financières que lui octroyait la fédération : “J’avais une prime annuelle. Il me semble que c'est 5 600 € sur l'année et après, il y a tout ce qu'on peut générer en gagnant des meetings. Donc mis bout à bout, aller, on a, on a un peu moins de 10 000 €. Je dirais que c’est le minimum syndical pour couvrir tous les frais qui sont très larges. C'est pour ça que j'ai créé la cagnotte sur internet.” Frédéric Dagée
"Ma mère me répétait sans arrêt que je ne gagnerais pas ma vie dans l'athlétisme. Elle avait raison."
Maryse Éwanjé-Épée a détenu pendant 21 ans le record de France de saut en hauteur. C'est une des grandes figures de l'athlétisme français. Aujourd'hui, elle dirige bénévolement le club d'athlétisme de Noisy le Grand et elle est à l’origine de la cagnotte Leetchi de Dimitri Bascou, médaillé de bronze des Jeux olympiques de Rio.
“C'est la troisième fois qu'on ouvre une cagnotte participative parce qu'on manque d'argent. Dimitri Bascou vient de fêter son 36ᵉ anniversaire et il essaye de se qualifier pour ne pas passer à côté de Paris 2024.
Dimitri n'est plus pris en charge par la Fédération, demi-finaliste des championnats du monde en 2019, il s'est blessé en 2020. À partir du moment où on se blesse, on sort du système : on n'est plus sur ces fameuses listes de sportifs de haut niveau qui permettent d'avoir certains avantages économiques ou de pratiques.
Très probablement, c'est une question d'âge et de potentiel. Ça m'agace beaucoup, on ne le dit pas ouvertement, mais on ne va pas soutenir les vieux champions.” Maryse Éwanjé-Épée
Là où les sportifs de haut niveau en cas de blessure peuvent perdre leurs rémunérations, les sportives peuvent également être soumises à des discriminations sexistes.
“Après la naissance de ma fille, je n'avais plus aucun sponsor, je n’avais plus rien, mon entraîneur m'avait seulement donné deux survêtements publicitaires. Or, l'année précédente, j'étais médaillée des championnats d'Europe en équipe de France et j'avais toujours le record de France. Tout le monde disait “elle vient d'avoir un enfant, elle a 27 ans, c'est foutu”. Pourtant, j'ai encore été championne de France les cinq années qui ont suivi.” Maryse Éwanjé-Épée
- Reportage : Adila Bennedjaï-Zou
- Réalisation : Somaya Dabbech
- Mixage : Dali Yaha
Merci à Jöna Aigouy, Frédéric Dagée, Doriane et Mahé, Maryse Ewanjé-Epée, Dimitri Bascou, Xavier Delaporte, Renaud Longuèvre, Nathalie Iannetta et Sylvaine Derycke.
Musique de fin - Puls, Meute
Vous pouvez retrouver les cagnottes des athlètes ici : " Je rêve des Jeux olympiques " de Jöna Aigouy. La cagnotte " Préparation Olympique " de Frédéric Dagée. Et celle de Dimitri Bascou est disponible là : " Dimitri Bascou, les JO et les Gangstars ".