Dans notre imaginaire, parmi les incontournables de l’Antiquité romaine se trouvent les thermes. Dans ces établissements de bains publics, parfois grandioses, nous croisons différents bassins d'eau froide ou d’eau chaude, et parfois tiède, avec aussi des salles annexes, où il est possible de lire, de pratiquer des activités sportives ou tout simplement de se promener et de discuter. Évoquer les thermes, c’est partir Vers un pays lointain, selon le titre de l’ouvrage stimulant de Maurice Sartre et de Jean-Noël Jeanneney, Vers un pays lointain. Dialogues sur l’Antiquité.
Construction et fonctionnement des thermes romains
La pratique du bain collectif débute avec les Grecs au 5e siècle avant notre ère. Inspiré du gymnase, cette "baignade à la grecque" se fait dans une cuve plate de forme ovale, située dans une salle ronde d’un édifice public. L’eau y est déjà chauffée grâce à un système technique de fournaise. "Les Romains n'ont pas inventé l'eau chaude", remarque avec humour l'archéologue Thibaud Fournet. "Il y a une pratique du bain chaud avec des dispositifs dédiés à la préparation de l'eau chaude, à sa circulation, à son évacuation, qui sont bien antérieurs à ce que les Romains vont développer à une échelle méditerranéenne et impériale. C'est un phénomène continu."
Les Romains vont progressivement s’approprier la pratique thermale puis la perfectionner. Aux 2 et 1er siècle av. J.-C., les bains sont présents dans l’ensemble de la Méditerranée romaine. Au début de l’Empire, les premiers grands thermes publics – accessibles gratuitement au peuple – sont construits par les empereurs ou la cité. Situés en plein cœur de la ville, il s’agit alors de vastes complexes monumentaux abritant des dizaines de salles destinées aux bains autant qu’aux activités physiques et intellectuelles. "Dans les grands thermes impériaux", décrit l'historien Maurice Sartre, "il y a toujours une bibliothèque et des salles polyvalentes, où des rhéteurs célèbres, des philosophes, des écrivains viennent donner lecture de leurs œuvres, ou donner des conférences."
Aller aux bains
Victime de sa popularité, le bain public devient rapidement partie intégrante des loisirs et de la vie quotidienne des Romains, à l’image du théâtre, des jeux du stade, ou du cirque. En tant qu’institution publique et par leur gratuité, les thermes rassemblent l’ensemble de la société romaine dans un même lieu : à la fois des patriciens, des plébéiens, des artisans et mêmes des esclaves. "Les esclaves, normalement, ne vont pas aux thermes, sauf pour accompagner des gens aisés et garder leurs vêtements. C'est une règle héritée du gymnase grec, qui était interdit aux esclaves, aux prostituées, aux gens condamnés", précise Maurice Sartre.
L'historien ajoute que les femmes vont aussi aux thermes : "Les femmes et les hommes sont séparés en principe. On pense qu'il y a parfois des parties mixtes, où les uns et les autres sont plus ou moins couverts." En effet, les bains sont associés à la pratique amoureuse et la nudité peut être perçue comme une invitation sexuelle – en plus d'être un facteur de mixité sociale, puisqu'il n'y a plus moyen "de se distinguer" par le vêtement. Thibaud Fournet montre que la nudité nourrit, d'Aristophane aux pères de l'Église, un "imaginaire de lieu de perdition, de promiscuité, de tous les possibles", qui est "une sorte de fil conducteur de l'histoire plurimillénaire du bain public."
Le citoyen ordinaire se rend généralement au bain vers le milieu de l’après-midi après la sieste. Après avoir posé ses affaires au vestiaire, il progresse dans une enfilade de pièces allant du bain froid, dit frigidarium, au bain le plus chaud, dit caldarium. Véritable temps de convivialité, le bain n’est qu’un prétexte pour se retrouver entre amis, discuter affaires et faire du sport. Jeux de balle, boxe, lutte et escrime ont généralement lieu dans la palestre.
De Rome au Proche-Orient, une mutation du bain collectif ?
La pratique du bain collectif évolue au cours de l’Empire romain. La faiblesse du pouvoir impérial, les crises politiques successives ainsi que le coût d’investissements énormes pour entretenir ces édifices impériaux font tomber le lieu en désuétude. À l’inverse, le therme impérial connaît un âge d’or au Proche-Orient romain. De Bosra à Tyr en passant par Alexandrie, la pratique du bain se diffuse dans toutes les provinces du monde romain. Parallèlement à ces édifices colossaux, des bains plus modestes continuent d’exister et proposent dans leur fonctionnement de nouvelles innovations comme la vapeur. Le hammam est alors en cours d’invention…
Pour aller plus loin
- Maurice Sartre, Jean-Noël Jeanneney, Vers un pays lointain. Dialogues sur l’Antiquité, Flammarion/France Culture, 2023
- Maurice Sartre, Culture, savoirs et sociétés dans l'Antiquité, Tallandier, 2023
- Maurice Sartre, Le Bateau de Palmyre. Quand les mondes anciens se rencontraient, Tallandier, 2021
- Maurice Sartre, Cléopâtre : un rêve de puissance, Tallandier, 2018
- Thibaud Fournet, Marie-Françoise Boussac, Sylvie Denoix, Bérangère Redon (éd.), 25 siècles de bain collectif en Orient. Proche-Orient, Égypte et péninsule Arabique, 4 vol., Ifpo-IFAO, 2014
- Marie-Françoise Boussac, Thibaud Fournet, Bérangère Redon (éd.), Le Bain collectif en Égypte, Institut français d'archéologie orientale, 2009
Références sonores
- Archive de Paul-Marie Duval, directeur d'études à l'École des Hautes Études, Heure de culture française, 8 juin 1953
- Archive sur les thermes de Chassenon, Midi Atlantique, 23 mai 1980
- Archive sur la natation naturiste présentée dans Les insolites du sport, 18 février 2010
- Extrait du film Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre d'Alain Chabat, 2002
- Lecture par Anna Holveck d'un extrait des Lettres à Lucilius de Sénèque, 56, LVI, traduction par Joseph Baillard, 1914
- Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020