13 millions de Français pratiquent aujourd’hui une activité physique. Parmi eux, 6,2 millions ont un abonnement dans une salle de sport, soit un peu plus d’un Français sur 11, avec une hausse de 16% du nombre d’abonnés entre 2015 et 2020, le tout alimentant “marché du fitness” qui enregistre un chiffre d’affaires de plus de 2 milliards d’euros (chiffres Deloitte/Ipsos pour l’Union Sport et Cycle).
Cette montée en popularité des salles de sport est le reflet d'une société de plus en plus axée sur la recherche de la performance physique et de l'esthétique corporelle, stimulée par des normes de beauté idéalisées et une culture du succès personnel. En d’autres termes, dans notre société capitaliste moderne, le corps serait une institution comme une autre, se faisant ainsi le lieu de l’accumulation du capital et de sa fructification, qui passe dans le cas du corps par le fait d’en prendre soin et de le renforcer.
Guillaume Vallet nous explique "aujourd’hui, le “bon corps” donne la priorité au muscle - dans une certaine limite. Chez les hommes, l’éventail de l’idéal s’étend de Ronaldo (sportif mais très mince) à Dwayne Johnson (massif et très musclé mais pas aussi bodybuildé que ne l’était Schwarzenegger). On valorise en effet moins les bodybuilders aujourd’hui : il règne l’idée que le muscle doit servir à quelque chose, qu’il doit être en mouvement et non demeurer un simple attribut physique. On peut rapprocher tout cela d’une forme de néo-capitalisme qui tente d’intégrer les préoccupations environnementales : le bodybuildé est trop lent, trop consommateur d’énergie (les plus grands bodybuilders doivent consommer 9000 calories par jour, ce qui n’est plus compatible avec notre système économique".
Ce fondement théorique explique ainsi à la fois l’évolution des normes corporelles, mais aussi l’essor du secteur du fitness, lui-même soutenu par le développement des réseaux sociaux. Si l’histoire a transformé le rapport au corps, d’abord proche de l’outil et désormais instrument d’esthétique, le fait d’en prendre soin a toujours plus ou moins fait partie des préoccupations humaines, mais on observe aujourd’hui la structuration d’un véritable “marché de la forme”, non seulement tourné vers la pratique sportive mais aussi vers l’adoption d’un “mode de vie” sportif, qui ne va pas sans quelques dérives potentiellement dangereuses.
Jeanne-Maud Jarthon ajoute "on assiste aujourd’hui à une forme de tournant dans la pratique du sport et du fait de “cultiver” son corps. Pendant des décennies, la pratique de la musculation n’était pas très répandue et demeurait associée à l’image du bodybuilder culturiste. Désormais - notamment avec l’apparition du crossfit - la pratique s’est démocratisée. Ce sport, venu des Etats-Unis, combine l’athlétisme, le cardio, la gymnastique et la musculation/haltérophilie. Il ne s’agit plus que de faire évoluer son corps mais bien tout son mode de vie : on mange crossfit, on s’habille crossfit, on côtoie le monde et les pratiquants du crossfit… Tout repose sur une pratique très communautaire, qui s’exerce dans ce que l’on appelle des “box” crossfit (sortes d’entrepôts où tout le monde s’entraîne en groupe). La douleur fait partie de la pratique du crossfit : il s’agit de faire un maximum d’efforts en un minimum de temps et de repousser ses propres limites".
Pour aller plus loin
- Guillaume Vallet : La fabrique du muscle (L’Echappée, 2022)
Références sonores
- Archive INA “Réveil musculaire en musique”, RTF, 01/01/1946
- Archive INA “Un étonnant arsenal ouvert à Paris”, Les Actualités Françaises, 05/05/1965
- Archive INA Interview de Bernard Tapie dans l’émission Gym Tonic, avec Véronique de Villèle et Davina Delor, France 2, 17/06/1984
- Serge Nubret, 5 fois champion du monde, Nuits Magnétiques, France Culture, 17/09/1986
- Reportage sur le phénomène CrossFit, France TV Sports, 31/01/2016
- Extrait du film Bullhead réalisé par Michaël R Roskam en 2011
- Extrait du film Peur sur la ville réalisé par Henri Verneuil, sorti en 1975
Références musicales