Officiellement, Jacques Foccart est Secrétaire général de l'Élysée aux affaires africaines et malgaches, mais, dans l’ombre du pouvoir, il est plus souvent désigné comme “Monsieur Afrique”, voire “le prince des ténèbres”, “le père de la Françafrique”. Pourtant, qui est Jacques Foccart, dont l’existence ne se réduit pas à l’Afrique ou, pour le dire autrement, dont l’ensemble de la vie permet de comprendre son action en Afrique...?
Né en 1913, Jacques Foccart grandit en Mayenne. En 1916, sa famille déménage en Guadeloupe, où il passe trois ans. Son père, planteur-exportateur de bananes, est en effet consul de Monaco en Guadeloupe, tandis que sa mère est issue d’une riche famille de békés guadeloupéens.
"Binot" fait de la résistance
En 1942, Jacques Foccart rejoint le réseau Action Plan Tortue et crée en 1943 le réseau Action-Tortue Foccart, qui œuvre à la préparation du débarquement des Alliés en Normandie. Sous le pseudonyme de "Binot", Foccart prend des risques et rejoint l’Angleterre en 1944 pour continuer la lutte. De cette période, il garde une admiration et une loyauté sans faille pour le général de Gaulle. Il apprend également dans les réseaux de la Résistance le secret, la clandestinité et le cloisonnement.
Après la guerre, Jacques Foccart gravit les échelons du parti gaulliste, le Rassemblement du peuple français (RPF), et se spécialise peu à peu dans les sujets outre-mer, ainsi que sont dénommées les colonies sous la IVe République, et affaires africaines. Jean-Pierre Bat souligne que "Jacques Foccart fait partie du petit cercle fermé des barons du gaullisme. Une fois par semaine, ils se réunissent dans la maison de l'Amérique latine, avec Jacques Chaban-Delmas, Michel Debré, Olivier Guichard, et travaillent autour du général de Gaulle, chacun avec un rôle plus ou moins ordonné (...). Jacques Foccart est un rouage des crises du 13 mai 1958, avec cette capacité tout à la fois de maintenir des contacts directs et indirects avec les forces de contestation de la IVe République (...). Il assume d’être le régulateur entre les passions anti-IVe République, les passions politiques de cette période, et la défense du général de Gaulle. J’insiste sur ce rôle d’interface très discret, d'interprète, parce que toute sa vie, il va faire ça." Devenu un baron du parti, et l’un des hommes de confiance du Général, il suit tout naturellement de Gaulle à l’Élysée en 1958, où il dirige le secrétariat général à la présidence de la République pour la communauté et les affaires africaines et malgaches. Jacques Foccart met à profit un réseau de sociabilité et de relations de confiance qu'il a développé en Afrique avec des hommes politiques, au cours de ses missions pour le RPF, ou encore avec les milieux d'affaires, à travers ses activités d’import-export.
Le "Monsieur Afrique" des présidents français
L'influence de Jacques Foccart ne fait que croître au fil des quinze années passées au secrétariat général. “Monsieur Afrique” du général de Gaulle puis de Pompidou, il règne d’une main de maître sur la politique africaine de la France jusqu’en 1974, et s’impose comme l’intermédiaire privilégié des chefs d’État africains, avec lesquels il entretient des relations de proximité voire d’amitié. Pour Jean-Pierre Bat, "Foccart considère qu'il est le facilitateur entre de Gaulle et les chefs d'État africains. Il est l’oreille de ces chefs d’États. Il parle peu, il donne des conseils, et il sait rester à sa place. Il reste toujours en coulisse."
Jacques Foccart contribue ainsi à la mise en place de la doctrine du "pré carré" qui préside aux relations entre la France et ses anciennes colonies. Il s’agit avant tout de défendre les intérêts politiques et économiques de la France et de maintenir son influence, en échange de quoi les chefs d’État africains coopératifs obtiennent sécurité et protection. La France défend ainsi les régimes en place quand ils lui sont favorables, et n’hésite pas à instaurer de nouveaux régimes quand le chef de l’État en poste veut se soustraire à son influence. Au fur et à mesure que la guerre froide progresse, la doctrine du "pré carré" laisse peu à peu la place à la lutte anticommuniste, en particulier à partir du mandat de Valéry Giscard d’Estaing, qui congédie Jacques Foccart lorsqu’il accède au pouvoir en 1974, mais continue à s’appuyer sur les réseaux que celui-ci laisse derrière lui. Alors, en quoi consistent vraiment ces réseaux Foccart ?
Pour aller plus loin :
- Jean-Pierre Bat, Histoire du renseignement en situation coloniale, Presses universitaires de Rennes, 2021
- Jean-Pierre Bat, Les Réseaux Foccart. L’homme des affaires secrètes, Nouveau Monde éditions, 2018
- Jean-Pierre Bat, La Fabrique des “barbouzes”. Histoire des réseaux Foccart en Afrique, Nouveau Monde éditions, 2017
- Jean-Pierre Bat, Jacques Foccart : archives ouvertes (1958-1974). La politique, l’Afrique et le monde, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2017
- Jean-Pierre Bat, Françafrique. Opérations secrètes et affaires d’État, Tallandier, 2016
- Jean-Pierre Bat, Le Syndrome Foccart. La politique française en Afrique, de 1959 à nos jours, Gallimard, 2012
Références sonores :
- Archive INA de Jacques Foccart évoquant ses réseaux, émission Echos d'Afrique, RFI, 1995
- Archive INA de Michel Devèze sur l'Empire français, Heure de culture française, RTF, 1947
- Archive INA de Jacques Foccart sur sa rencontre avec l'Afrique, RFI, 1986
- Extrait du documentaire Françafrique de Patrick Benquet : témoignage de Maurice Robert de la SDECE
- Archive INA sur un voyage de Jacques Foccart à Bamako au Mali, 1968
- Extrait du film Les Barbouzes de Georges Lautner, 1964
- Extrait du film Le Crocodile du Botswanga de Lionel Steketee et Fabrice Éboué, 2014