Chine: le live streaming, miroir aux alouettes d’une jeunesse fatiguée de l’usine

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Edité par Radio France Internationale - 2024

La chronique Un monde de tech est en Chine ce mercredi 22 mai, où l’on reparle des influenceurs et performeurs en ligne. Une industrie qui attire de millions de jeunes et de moins jeunes, avec des revenus qui s’envolent pour les plateformes de streaming. Le dernier buzz, c'est celui d’un jeune chanteur amateur qui a fait des millions de vues depuis une gare désaffectée de l’est du pays. 

Il s’appelle Guo Youcai, il a 25 ans. Début mai, ce chanteur-influenceur a eu l’idée de prendre sa guitare et de chanter en live devant l’ancienne gare de Heze, un bâtiment inutilisé depuis 2001, dont beaucoup n’avaient jamais entendu parler dans cette province du Shandong, sur la côte orientale chinoise. Et donc, ce fut un carton : le live a été liké plus de 2 millions de fois.

Spot à clics

Le succès est probablement lié au côté vintage de la chanson Promise, qui date de 1995, mais aussi au style vintage du jeune chanteur, la gare vintage et le filtre sépia. Guo Youcai surfe sur cette vague nostalgique qui rappelle à certain un âge d’or de la croissance chinoise et qui marche bien en ce moment en Chine. Le titre a fait bondir le nombre des followers de Guo sur Douyin, le TikTok chinois. C’est d’ailleurs un coup de la plateforme et sa stratégie de fabrications en accélérée de « stars ». Douyin générant du trafic pour promouvoir de nouvelles célébrités sur Internet.

Guo a désormais plus de 10 millions d’abonnés et surtout, il a fait des émules. Sa chanson devant la gare a entraîné la venue de milliers d’influenceurs comme lui. Un peu comme un essaim de sauterelles, des live streameurs et streameuses attirés par ce piège supposé à followers. C’est probablement unique à la Chine : à chaque fois qu’apparaît un nouveau spot à clics, on voit débarquer l’armée hétéroclite des Chinois qui vivent ou vivotent de ces vidéos captées et diffusées en direct via leur smartphone. Une influenceuse-danseuse répondant au pseudonyme de Li Jiajia a ainsi déclaré avoir fait plus de 4 h de voiture pour rejoindre la gare désaffectée, dont les marches ont été repeintes par la mairie. On a vu aussi des chercheurs étudier les retombées potentielles pour Heze, la capitale de la pivoine et ses plus de 8 millions d’habitants sur le fleuve Yang-Tsé.

Certains ont lancé des paris, affirmant que la célébrité forcément éphémère du chanteur amateur devrait durer trois mois. Retombées touristiques enfin, ça aussi, c'est devenu un classique dans le pays du tourisme des selfies. Le 17 mai, Guo Youcai a été embauché comme « responsable des recommandations en matière de tourisme culturel » par la ville.  

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Lumpenprolétariat du live streaming 

Mais il y a aussi eu des mécontents, qui se plaignent des « nuisances » accompagnant cette horde d’influenceurs. Car quand certains râlent contre les bouchons, d’autres dénoncent la pollution que cela génère. La police a également interrompu certains directs pour des performances jugées obscènes ou déplacées. Finalement, la mairie a finalement décidé de limiter l’activité des influenceurs en raison officiellement des examens marquant la fin du lycée entre mai et juillet prochain. Mais aussi parce que des médias officiels ont appelé à couper « la tumeur du rêve des célébrités ».   

Alors, pourquoi casser le rêve des influenceurs ? Parce qu’il y a aussi un miroir aux alouettes dans ce phénomène, qui finit par détourner, selon les autorités, les plus jeunes des « vrais métiers ». Selon les dernières statistiques, fin 2022, plus de 150 millions de comptes de diffusion en direct avaient été enregistrés par l'industrie chinoise de la performance en ligne. Et parmi celles et ceux qui dépendent de la diffusion en direct comme principale source de revenus, plus de 95 % gagnent moins de 5 000 yuans par mois (donc près 640 euros).

Environ 20 %, soit 26 millions de ces streamers font partie du lumpenprolétariat de la profession et gagnent moins de 2 000 yuans par mois (255 euros), alors que seulement 0,4 % engrangent des revenus supérieurs à 100 000 yuans par mois (plus de 12 000 euros). Un métier qui continue de faire rêver, notamment dans les campagnes dans lesquelles le manque de perspectives fait que ce nouvel eldorado de la vente en ligne continue de fasciner celles et ceux qui veulent échapper à l’usine ou au métier de livreur. Un métier sans filet qui pour beaucoup malheureusement ne paye pas si bien que cela.

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Note
  • La chronique Un monde de tech est en Chine ce mercredi 22 mai, où l’on reparle des influenceurs et performeurs en ligne. Une industrie qui attire de millions de jeunes et de moins jeunes, avec des revenus qui s’envolent pour les plateformes de streaming. Le dernier buzz, c'est celui d’un jeune chanteur amateur qui a fait des millions de vues depuis une gare désaffectée de l’est du pays. 
Type de document
Podcast
Langue
français
Date de publication
22/05/2024
Collection
Un monde de tech

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