Personne n'est propriétaire d'une entreprise, pas même les actionnaires. Et pourtant, ce sont eux qui occupent la quasi-totalité des places au sein des conseils d'administrations, via les administrateurs indépendants. Pour Christophe Clerc, avocat et enseignant à Sciences po, cette situation est dû, entre autres, à une culture profondément ancrée et à l’enseignement délivré dans les écoles de management : “Dans les écoles de management en France, on va vous expliquer que le modèle naturel de gouvernement d'entreprise, c'est un modèle que les universitaires appellent la suprématie actionnariale, c'est le pouvoir ultime qui dit que le pouvoir essentiel doit revenir aux actionnaires, ils doivent être les seuls à désigner les membres du conseil d'administration et tout autre mécanisme serait une hérésie.”
Quid des travailleurs, qui investissent eux aussi, et bien plus que de l'argent ? Ils engagent leur intelligence, leur force et parfois même leur santé, tout en ayant très peu de pouvoir de décision. Alors qu'en Allemagne le système dit de la codétermination offre aux salariés la moitié des postes d'administrateurs, en France, la plupart des entreprises n'acceptent qu'un seul administrateur salarié... L’ancien PDG des usines Renault Louis Schweitzer donne son point de vue à ce sujet : “Il est clair, que s'il y a un ou deux représentants des salariés dans un conseil de quinze ou 20 personnes, ils sont dans une position très minoritaire qui rend l'expression d'une opinion forte plus difficile. C'est pour ça que je crois qu'il est important que les salariés aient plus qu'un ou deux représentants au conseil d'administration afin que leurs voix pèsent de façon différente, pour qu'ils se sentent plus forts au sein de ce conseil.”
L'enjeu est de taille : faire de l'entreprise un espace démocratique, où les travailleurs auraient leur mot à dire. Une démocratisation que portent les coopératives (Scop), où les « associés » se montrent désireux de participer à la gestion de ce qu'ils n'hésitent pas à nommer « leur » entreprise...
Un documentaire de Stéphane Bonnefoi réalisé par Anne Perez.
Avec :
Mathieu Rouillard et les salariés de la Scop Maurer-Tempé de Kingersheim,
Isabelle Ferreras, sociologue, chercheuse au Fonds de la recherche scientifique (FNRS), professeure à l’université catholique de Louvain,
Louis Schweitzer, ancien PDG des usines Renault,
Marie-Christine Lebert, secrétaire nationale CFDT Cadres et administratrice salariée du groupe Worldline,
Bernard Thibault, ancien secrétaire général de la CGT et membre du Bureau international du travail,
Christophe Clerc, avocat et enseignant à Sciences po.
Prise de son : Yann Fressy - Documentaliste : Annelise Signoret et Antoine Vuilloz - Mixage : Pierre Henry
Bibliographie :
* Isabelle Ferreras, Hé patron ! Seuil
* Christophe Clerc, Propriété, le sujet et sa chose, Seuil
* Bernard Thibault, La troisième guerre mondiale est sociale, Editions de l'Atelier
* Alain Alphon-Layre*, Et si on écoutait les experts du travail, ceux qui le font*, L'Harmattan
* Patricia Crifo, La participation des salariés, Sciences Po
Liens :
- Associer les salariés à la gouvernance d’entreprise, une invention française (et pas allemande) : article de Xavier Hollandts et Nicolas Aubert, paru dans The Conversation, septembre 2022.
- Christophe Clerc : La codétermination : un modèle européen ? in Revue d'économie financière, vol. 130, n°2, 2018.
- Ariane Ghirardello, Amélie Seignour, Corinne Vercher-Chaptal. Les performances de la Codétermination. Colloque du Collège des Bernardins Gouvernement de l’entreprise, création de commun, Paris, 2018.
- Hervé Charmettant, Olivier Boissin, Jean-Yves Juban, Nathalie Magne, Yvan Renou : Les pouvoirs de transformation des Scop : entreprises et territoires. Rapport d’études de l’Equipe Projet Scop, université Grenoble Alpes, 2017.
- Site de la Confédération générale des Scop et des SCIC.