Cette semaine, le Meilleur des mondes s'intéresse à l'Art qui a pour muse le numérique, ces pratiques artistiques qui questionnent notre rapport aux nouvelles technologies et nos usages des réseaux sociaux.
En quoi l’art entretient-il un rapport étroit avec la technologie, et le détournement de la technique ? Comment l’art insuffle-t-il de la poésie, de l’onirique dans des technologies à visées productives ? En quoi matérialiser l’impact des GAFAMs sur nos vies est-il un bon moyen de révéler les dérives de notre époque ?
Des questions auxquelles répondront Mathieu Vabre, commissaire d’exposition, directeur artistique de la Biennale des Imaginaires Numériques, Jean-Paul Fourmentraux, socioanthropologue et critique d’art, chercheur au Centre Norbert Elias (EHESS-CNRS) et auteur de AntiDATA, la désobéissance numérique - Art et hacktivisme technocritique (Ed. Les presses du réel, 2020) ainsi que les artistes Albertine Meunier et Filipe Vilas-Boas.
Le numérique et les technologies, nouveau terrain pour l’Art
L’arrivée d’Internet à la fin du XXe siècle amène de nombreux artistes à se tourner vers le domaine du numérique. Initialement, les artistes qui s'emparent des réseaux informatiques ont une vision optimiste des opportunités offertes par ce nouveau moyen de communication, comme l’explique le chercheur et socio-anthropologue, Jean-Paul Fourmentraux : « Si les années 90 ont été marquées peut-être par l'utopie démocratique qui accompagna le développement d'Internet, la période actuelle est volontiers plus dystopique. L'art joue un rôle particulier ici puisqu’il nous incite à justement réinventer l'utopie, ou en tout cas de contourner la dystopie qui nous est proposée aujourd'hui. »
L’artiste Albertine Meunier, quant à elle, se définit autrement, hors de la pensée techno-critique : « Je suis une artiste techno-enthousiaste, observatrice. Je vais plus essayer de décoder les mécanismes, les mettre en avant, les matérialiser. Essayer d’accompagner les nouvelles technologies d’un éclairage différents finalement. » Artiste depuis 1998, Internet a accompagné l’évolution de son travail : « Au début c'était assez joyeux, une création assez libre on va dire. Et puis ça c'est de plus en plus durci, j’ai essayé d'éclairer les choses avec des mécanismes, d’expliquer comment tout ça fonctionne. Et, très rapidement, je me suis focalisée sur le sujet des datas, car c'est ce qui s'est ancré le plus dans nos pratiques. »
Des œuvres techno-critiques, dans un univers dystopique
Pourtant aujourd’hui, l’omniprésence des réseaux sociaux amène les artistes à développer le côté critique du domaine. Avec son œuvre Carrying the cross, l’artiste Filipe Vilas-Boas a voulu dénoncer l’emprise du réseau social Facebook qui, à l’époque, était encore prédominant : « Pour inaugurer une exposition à Lisbonne, j’avais décidé de fabriquer une croix latine représentant le F de Facebook. L'idée, était de porter ce poids du numérique qui pèse aujourd'hui. Je voulais rassembler cet espoir originel du web et cette oppression exercée par les réseaux sociaux. Je voulais mixer cette double sensation que me procure finalement ce nouveau monde numérique. »
Justement, dans la troisième édition de la Biennale des Imaginaires Numériques, le thème de la Nuit mène l’évènement. Cette thématique amène les artistes à questionner sur la nouvelle définition de cet espace-temps : est-il toujours un espace de liberté, de repos dédié à l’improductivité, dédié à notre intimité ? Le directeur artistique de l’évènement, Mathieu Vabre, explique : « On voit que le temps dédié à l'obscurité de la nuit est grignoté de plus en plus par les technologies, par la lumière permanente. Les GAFAMs et les plateformes numériques empiètent de plus en plus sur ce dernier créneau de temps d’attention disponible, normalement dédié au repos et au sommeil. Donc durant cette exposition, plusieurs artistes viennent critiquer et dénoncer ces systèmes de prédation numérique à travers leurs œuvres. »
Les invité(e)s
Mathieu Vabre, commissaire d’exposition, directeur artistique de la Biennale des Imaginaires Numériques
Jean-Paul Fourmentraux, socio-anthropologue et critique d’art, chercheur au Centre Norbert Elias (EHESS-CNRS) et auteur de AntiDATA, la désobéissance numérique - Art et hacktivisme technocritique (Ed. Les presses du réel, 2020)
Albertine Meunier, artiste
Filipe Vilas Boas, artiste
Une émission en partenariat avec Numerama. Retrouvez chaque semaine les chroniques de Marie Turcan et Marcus Dupont-Besnard.