Un jour on décide de partir, ou on y est contraint. Alors c’est le début d’un nouveau combat. Il faut apprendre à vivre libre, avec de nouvelles règles, dans une société qualifiée de démocratique. Mais bien qu’on ne vive plus en dictature, on reste fidèle à de vieilles manies d’autocensure. Dans ce documentaire signé Pauline Maucort, Ioana Uricaru qui a connu la Roumanie de Ceaucescu, Mezghan Trabzadah, Afghane exilée en France, Marcos Alegria, exilé chilien, Raul Boyle , exilé argentin, Srdja Popovic, un activiste serbe, se souviennent d'avoir éprouvé cette "angoisse de la liberté".
Ioana Uricaru confesse que “la liberté est venue avec beaucoup d'angoisses ”, et qu’elle a mis beaucoup de temps à en profiter pleinement : “J'étais tellement habituée à demander la permission pour tout. Pour n'importe quelle action, je me demandais, mais à qui dois-je demander la permission de le faire ? Cela fait 20 ans que je suis en Amérique et je commence à peine à me débarrasser de cette habitude, c'est très enraciné dans mon cerveau, cette idée qu'il y a des autorités qui contrôlent tout et à qui il faut demander l’autorisation."
Mezghan Trabzadah, à elle, a mis du temps à abandonner sa burqa : “Après les talibans, j’ai porté ma burqa pendant un an encore. Je l’ai porté pour passer mon bac. Je ne voulais pas l’enlever, j'avais tellement peur, je les pensais toujours là. J'avais l'impression que si j'enlevais ma burqa, les talibans viendraient me donner des coups”.
Parfois les valises restent longtemps dans l’entrée, avec le projet de retourner au pays. Marcos Alegria, en témoigne : “Vous savez l’exil, c'est un déracinement, on est banni, on ne part pas volontairement. Ça fait mal. Ça fait mal de ne pas savoir des siens. C'est sûr que c'est difficile. On n'a pas posé nos valises tout de suite, parce qu’on pensait repartir au plus tôt. On attendait le changement au pays. Pour nous c’était quelque chose de temporaire, la dictature ne pouvait pas durer si longtemps, c’est pour cela que l’on est resté avec les valises fermées si longtemps”
D’autres fois, on voudrait passer à autre chose, on fait tout pour, on n’en parle plus, mais ça revient. Le passé se rappelle à nous. On s’enlise dans la culpabilité d’avoir préféré l’exil, les regrets d’avoir quitté sa famille, les amis et les compagnons de lutte en les mettant en danger.
Raul Boyle, raconte pourquoi il a refusé le statut d’exilé politique : “Arrivé en France, on me conseillait de prendre le statut de réfugié politique. Mais, je n'ai pas voulu. Je me considérais suffisamment chanceux alors que d'autres avaient énormément souffert, c’est eux qu'il fallait aider. Je ne voulais pas utiliser mon histoire pour obtenir quelque chose. Je ne voulais pas insister et parler de ce qui s’était passé”.
On voudrait oublier, mais on ne peut pas. Et d’ailleurs, ne vaut-il mieux pas se souvenir, pour pouvoir transmettre l’expérience de l’oppression, et du combat pour la liberté ? C’est pourquoi Marcos Alegria a décidé de transmettre son histoire : “Il faut apprendre, à ne pas oublier. On n’oublie pas, mais on apprend à vivre avec. On ne peut pas faire comme si rien ne s'était passé alors, j'ai commencé à témoigner et à parler, mais seulement 30 ans après, je voulais que ce soit quelque chose d’utile”.
Car comme le rappelle Srdja Popovic, (qui emprunte une citation de Reagan), il faut savoir rester vigilant : “La démocratie n'est jamais qu'à une génération de distance d'avec son extinction. Alors, ne tenez jamais la démocratie pour acquise, même si vous en France, vous êtes nés dans la démocratie, si vous la tenez pour acquise, alors vous allez entrer dans le lent processus ou le peuple oublie d'exercer ses droits et ses devoirs démocratiques et finit un jour par en être privé”.
Un documentaire de Pauline Maucort, réalisé par Julie Beressi.
Avec
- Mezghan Trabzadah, Afghane
- Ali Jamshidifar , caricaturiste iranien
- Marcos Alegria , exilé chilien, ex-prisonnier politique, militant du Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR) au Chili
- Raoul Boyle (et sa fille Valeria), exilé argentin, ex-prisonnier politique
- Armando Cote , psychanalyste au Centre Primo Levi
- Britta Moehring , professeure d’allemand
- Hamed Rassoli , journaliste afghan
- Ioana Uricaru , cinéaste roumaine
- Srdja Popovic, activiste serbe
Bibliographie
- Ronan Hervouet, « Le goût des tyrans, une ethnographie politique du quotidien en Biélorussie », Le Bord de l'eau, 2020
- Alicia Bonet-Krueger , Carlos Schmerkin , " Exils : des voix argentines racontent leur histoire ", Carlos Schmerkin, 2022
- Hélène Camarade et Sibylle Goepper , " Les mots de la RDA ", Presses universitaires du Midi, 2019
- Maxime Léo , " Histoire d'un Allemand de l'Est ", Actes Sud, 2013
- Florentina Postaru , " Heureux qui, comme mon aspirateur... ", Bayard, 2019
- Srdja Popovic , " Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit, et sans armes ", 2015
Liens
Partenariat
LSD, La série documentaire est en partenariat avec Tënk , la plateforme du documentaire d’auteur, qui vous permet de visionner jusqu'au 11/7/22 le film de Marie Voignier - Tourisme international (48' - 2014)