Ma première grande manifestation a aussi été la dernière.
En juillet 2001, à Gênes, durant un sommet du G8, les violences policières sont telles qu’on compte un mort et plusieurs blessés graves. Vingt après, Adila Bennedjaï-Zou essaie de reconstituer ce qui s’est passé, non pas pour tout le monde, mais pour elle et le petit groupe auquel elle appartenait. Elle cherche à comprendre ce que Gênes a changé, sur le moment mais aussi après. En quoi cette expérience a contribué à faire d’eux une génération politique.
Membre des Apprentis Agitateurs pour un Réseau de Résistance Globale (AARRG), Jicé se souvient de son exaltation d’appartenir à ce nouveau mouvement : “On peut comparer ça au premier mois d'une histoire d'amour où on est à fond, à bloc, on ne pense qu’à ça, c'est l'activisme, c’est l'enthousiasme. On était une bande, on faisait des trucs ensemble, on faisait des coups, on faisait des actions, on emmerdait le monde. C’était le sentiment au meilleur sens du terme, de la puissance du pouvoir collectif.”
À Gênes, avant les violences, il y a une certaine allégresse, presque une insouciance qui s’exprime dans les mots de Vincent (membre du AARRG) : “On est arrivé vraiment en joie à Gênes, il y a le concert de Manu Chao, on retrouve nos potes. On est vraiment dans l'esprit de la fête, de ce qu'on est venu chercher, en fait c'est une espèce de grande fête militante”.
Pourtant, c’est une tempête qui les attend, les policiers chargent et ne retiennent pas les coups, une violence qu’Adila a du mal à comprendre : “Nous sommes redevenus les jeunes gens polis que nous avons toujours été, sans doute que si on avait grandi dans ce qu'on appelle les quartiers, on aurait été moins surpris par cette violence. Mais nous sommes de jeunes bourgeois qui se moquent des flics, mais qui ne les voient pas comme des ennemis”.
Une pensée proche de celle de Mina, une jeune manifestante, qui arrêtée par les policiers génois se souvient de sa réflexion d’alors : “Et la petite étudiante bourgeoise que j’étais s’est demandée « mais qui me protège de la police ? »”.
Si Adila et Mina réchappent aux matraques, ce n’est pas le cas de Raphaël : “C'était vraiment le blitz face à la pluie de coups. Les premiers coups font extrêmement mal. C'était fou ce truc, les mecs sont vachement forts, on voit qu’ils se sont beaucoup entraînés à casser des têtes. Vraiment, parce que j'ai pris une pluie de coups”.
Deux décennies plus tard, Adila analyse : “Je crois qu'on a tous perdu quelque chose à Gênes. Même ceux qui n'ont pas de cicatrices. Même ceux qui n'y sont pas allés” comme en témoigne Elena Giuliani, sœur de Carlo Giuliani manifestant tué le 20 juillet 2001 : “Ça fait maintenant 20 ans que je vis sans Carlo. D'abord, il te manque le quotidien, la relation avec ton frère, vous avez à peu près le même âge et puis tu vieillis et lui reste un jeune homme. Alors la douleur se transforme, l'absence devient plus pesante parce qu'il te manque la vie que tu aurais pu avoir, celle qu'il aurait pu avoir, celle que tes parents auraient pu avoir avec lui. C'est énorme toute cette vie qu'ils nous ont enlevé.”
Un documentaire d’Adila Bennedjaï-Zou, réalisé par Annabelle Brouard.
Avec
Salvatore Pallida, sociologue
Jicé, Antoine, Raphaël, Mina, Vincent, manifestants
Elena Giuliani, sœur de Carlo Giuliani manifestant tué à Gênes le 20 juillet 2001
Chanson de fin : "Inati " par Screen Djeh et Kesakoo Album Maelström