La première révolution est celle de la cœlioscopie, née il y a quatre décennies à l'instigation d'un gynécologue français, Phillipe Mouret. Au lieu d'inciser largement, on réalise de petits trous où l'on enfonce des « baguettes » (les instruments). La chirurgie dite mini-invasive est née.
Le chirurgien Bertrand de Latour parle de l’apport du robot : “Pourquoi le choix du robot ? Le robot permet de faire des incisions qui font 8 mm, on est donc dans le mini invasif, au lieu de faire une cicatrice qui fait 35 à 40 cm, au lieu de scier un os, au lieu d'écarter des côtes, on fait juste des petits orifices qui font 8 mm entre les côtes. On crée moins d'inflammation, moins de douleur et moins de mutilation pour le patient. Le bistouri, c'est une mutilation, pour un bénéfice, mais c'est une forme de mutilation. Et plus la mutilation est petite, en pouvant soigner les gens, plus il y a un bénéfice pour le patient”.
Si cette technique de la cœlioscopie est toujours pratiquée, le robot monte en puissance. Grâce à ses bras démultipliés, ses instruments corrigent les tremblements, leurs rotations offrant des accès inédits à l'intérieur du corps, il séduit les chirurgiens - surtout les jeunes... Et que dire du patient qui voit la durée de sa convalescence se réduire avec la taille de sa cicatrice...
Nous sommes au début d'une nouvelle aventure et les études manquent. Le coût de la machine est un frein (autour de 2 M€). Si le chirurgien est encore aux commandes de sa machine (appelée improprement robot), qu'en sera-t-il demain avec l'intelligence artificielle, où l'on pourra répéter l'opération sur le clone du malade afin de réaliser « l'opération parfaite » ?
Pour Bertrand de Latour, le chirurgien gardera une place centrale : “Je ne pense pas qu'on arrive à mettre une machine qui pilote seule comme un avion sans humain. Mais oui, je suis d'accord avec cette définition, ça sera une comanipulation, le robot aura l'autonomie et le chirurgien sera là pour reprendre la main à tout moment et pour analyser la situation”, car ajoute-t-il : “Tout peut tomber en panne. C'est pour ça que, en disant le robot va devenir totalement autonome, c'est illusoire. Est-ce qu'un chirurgien tombe en panne ? Non, et il est toujours en équipe, il faut donc confier ça à une équipe et non pas une machine”.
Avec la robotisation du chirurgien, d’aucuns redoutent déjà l'atrophie d'un geste séculaire
Le chirurgien Alain-Charles Masquelet explique : “Le toucher est absolument essentiel parce que c'est le sens qui nous donne la perception la plus immédiate, avec certitude, bien qu'étant le plus grossier. On dit souvent que, par exemple, la pulpe des doigts, c'est l'œil du cerveau, en quelque sorte, le toucher est donc incomparable. Je crois que les chirurgiens qui se sont spécialisés dans la pratique robotique ont développé, je dirais, presque un sixième sens. Et ça, c'est dû à la plasticité incroyable du cerveau”.
Quant au chirurgien Erwan Flécher, il s’inquiète : "J'ai un peu peur que l’on devienne des spécialistes ou des ingénieurs en santé à manipuler des tablettes et que l’on perde un peu ce contact, ce lien qu'on a avec le patient. La chirurgie, ce n'est pas qu'opérer, c'est aussi le contact que tu as avec le patient avant l'opération et après l'opération, ça change tout. Ce contact, cette relation particulière entre le chirurgien et son patient, est ce qu'il y a de plus fort”.
Un documentaire de Stéphane Bonnefoi, réalisé par Yvon Croizier.
Avec :
Merci au CHU de Rennes
Prise de son : Alexandre Abergel
Archives INA : Delphine André
Documentaliste : Annelise Signoret
Bibliographie :
- Alain Charles Masquelet, Invitation à la philosophie de la médecine, Sauramps, 1998
- Marie-Christine Pouchelle, L'hôpital corps et âme , Seli Arslam, 2003
- Martial Debriffe, Jacques Marescauxet l'Ircad, l'incroyable conquête de l'excellence, éditions du Signe
- Erwan Flécher , Journal d'un chirurgien du cœur , éditions Ouest-France, 2022
- Collectif, Le geste chirurgical , éditions Georg (Suisse), 2020