Au cours du XIXe siècle, on a coutume de dire que la chirurgie a fait plus de progrès que durant les vingt siècles précédents… Jusque-là, le chirurgien est encore l'héritier du barbier. Un simple opérateur qui opère peu, et surtout vite, comme le raconte l’historien, Thomas Schlich : “La rapidité était une qualité désirable dans la chirurgie au début du XIXᵉ siècle, avant l'introduction de l'anesthésie. Il y avait même des chirurgiens qui mesuraient le temps qu'ils prenaient pour accomplir certaines opérations. Le plus fameux exemple est peut-être celui d'une amputation de l'épaule qui était pratiquée par le chirurgien londonien Robert Liston, le bras qu'il fallait amputer fut à terre en moins de quinze secondes."
Et pour cause : le taux de mortalité est aussi terrible que la douleur engendrée par les (rares) opérations que les chirurgiens tentent. Thomas Augais, maître de conférences à la Sorbonne, explique : “La chirurgie a eu quatre problèmes à résoudre, la connaissance de l'anatomie, le problème de la douleur, le problème des saignements et le problème des infections."
Avec l'apparition des "3 A" (anesthésie, antisepsie et asepsie), c'est à une véritable frénésie opératoire que vont se livrer les chirurgiens. La souffrance du patient est épargnée et, avec la mise au point de l'antisepsie puis de l'asepsie à la fin du XIXe siècle, le taux de survie s'améliore. Les interdits de naguère tombent brutalement : chirurgie abdominale, neurochirurgie...
Vincent Barras, rappelle : “La chirurgie moderne se développe à partir des années 1820- 1830, avec une conjonction assez extraordinaire de la découverte des moyens d'anesthésie, en même temps que des moyens techniques et industriels. Ainsi, il y a toutes sortes de facteurs culturels généraux qui font que la chirurgie n'est pas juste le génie d'un chirurgien, mais c'est un ensemble global, l’émergence d’une société moderne, industrielle, qui permet aussi la production d'appareils très sophistiqués, et également la maîtrise de la chimie avec la compréhension des fonctions d’un gaz et de comment l’utiliser pour l'anesthésie. Tout cela contribue à l'émergence de cette nouvelle chirurgie."
Le chirurgien, Erwan Flécher, évoque le contexte de l’époque : “L'anesthésie a permis de rentrer dans des cavités dans lesquelles on n'allait pas. On ne faisait que des choses de surface. Donc, à partir du milieu du XIXᵉ, quand l'anesthésie générale arrive, on peut rentrer dans les ventres, on peut entrer dans les thorax, on va pouvoir retirer des morceaux d'estomac et surtout, on a le temps ! On n'a plus un malade qui hurle, qui est tenu par trois gars costauds. Imaginez, la scène, c’était hyper impressionnant."
Cette (r)évolution est aussi celle du geste chirurgical. Désormais, le chirurgien se glisse "entre la vie et la vie", dira Paul Valéry, qui n'hésitera pas à le qualifier "d'artiste"... Une véritable révolution !
Un documentaire de Stéphane Bonnefoi, réalisé par Yvon Croizier.
- Prise de son : Alexandre Abergel
- Archives INA : Delphine André
- Documentaliste : Annelise Signoret
Avec :
- Erwan Flécher, chirurgien thoracique et cardio-vasculaire au CHU de Rennes
- Marguerite Zimmer , docteur en chirurgie dentaire
- Thomas Augais , maître de conférences en littérature à Sorbonne Université
- Vincent Barras, médecin et professeur d'histoire de la médecine à l'Université de Lausanne
- Thomas Schlich, professeur d'histoire de la médecine à l'université McGill de Montréal
- Grégoire Le Gac , médecin-anesthésiste au CHU de Rennes
Merci au CHU de Rennes pour leur participation
Bibliographie :
- Collectif, Le geste chirurgical, éditions Georg (Suisse), 2020
- Marguerite Zimmer, Histoire de l'anesthésie, EDP Sciences
- Thomas Schlich, The palgrave handbook of the history of surgery , éd. Thomas Schlich, 2018
- Paul Valéry, Discours aux chirurgiens, Pléiade (tome 1), 1957
- René Leriche, Souvenirs de ma vie morte , Seuil, 1956
Lecture de Les pères coupe-toujours d'Octave Mirbeau et du Discours aux chirurgiens de Paul Valéry : Laurent Lederer