“Traits hystériques... Posture de théâtralisme… forte demande de reconnaissance narcissique et phallique”, voici comment est décrite Emma, victime de violences conjugales, dans les expertises psychiatriques réclamées par la justice, qu’elle nous a présentées lors de notre rencontre.
Le sociologue Pierre Guillaume Prigent analyse ce genre d’expertise : “On est face à un jugement catégorique qui présuppose qu'elle est inauthentique et donc qu’elle n'est même pas capable d'accéder au contenu de son histoire. Il y a une minimisation de sa souffrance qui viendrait d'elle et pas de ce qui lui est arrivé et donc on retrouve finalement la stratégie de l'agresseur, c'est-à-dire que c'est elle qui est responsable de sa situation. On est face à ce que j'appelle parfois la complicité institutionnelle”.
“Hystérique !” et la parole des femmes est définitivement retirée puisque discréditée. Elles seraient incontrôlables et dangereuses pour la société. Comme la figure de Solitude qu’évoque la philosophe Elsa Dorlin : “Solitude, qui est une des grandes figures de la résistance à l’esclavage en Guadeloupe, est finalement paradigmatique de toutes les figures de résistance féminine qui sont ramenées à des formes de folie hystérique, c'est à dire toute femme qui résiste, toute femme qui s'élève contre le système patriarcal et colonial devient une folle et va être en quelque sorte pathologisée pour effacer de l'Histoire sa subjectivité politique et aussi son rôle historique”.
Et c’est ainsi, on les enferme en foyer de jeunes filles et en institution psychiatrique, et on écarte du pouvoir des générations de femmes politiques - des tricoteuses de la Révolution Française aux pétroleuses de la Commune, des rebelles qui s’élèvent contre l’esclavage aux suffragettes, des membres du MLF aux candidates de la dernière élection présidentielle.
“Traits hystériques... Posture de théâtralisme… forte demande de reconnaissance narcissique et phallique”, voici comment est décrite Emma, victime de violences conjugales, dans les expertises psychiatriques réclamées par la justice, qu’elle nous a présentées lors de notre rencontre.
Un documentaire de Pauline Chanu, réalisé par Annabelle Brouard.
Intervenant.e.s
- Pierre Guillaume Prigent : docteur en sociologie, auteur d’une thèse sur “Les stratégies des pères violents dans un contexte de séparation parentale”. Pour ses travaux, il a rencontré une vingtaine de femmes qui s’était séparé de leur conjoint avec qui elle avait des enfants, récit des réponses institutionnelles.
- Yannick Ripa : historienne, spécialiste de l’histoire des femmes et du genre, autrice de “La ronde des folles. Femme folie et enfermement au XIXe”
- Christine Bard : historienne, professeure histoire contemporaine à l’université d’Angers, spécialiste des féminismes et des antiféminismes, présidente de l’association “Archives du féminisme”
- Amélie Rabine : doctorante en histoire à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Elle prépare une thèse sur les trajectoires de jeunes filles placées en institutions dites de rééducation entre 1945 et 1975 à travers le prisme des témoignages oraux et écritures autobiographiques.
- Sandrine Rousseau : députée de Paris écologiste
- Alice Coffin : militante féministe lesbienne, conseillère de Paris, autrice de “Le génie lesbien” (Grasset)
- Hélène Frappat : écrivaine, traductrice et critique de cinéma
- Elsa Dorlin : professeure de philosophie à l'université de Toulouse Jean-Jaurès, autrice de “La matrice de la race” (La Découverte)
- et le témoignage d’Emma
Archives :
Témoignage de France, placée au Bon Pasteur d’Angers (1961-1962) puis au Refuge du Mans (1963-1965), extrait du recueil de témoignages « Enfances volées - Le Bon Pasteur, nous y étions », de Michelle Marie Bodin-Bougelot, publié en 2009.
Alsace soir, France 3 Grand Est, 11 avril 2010
Où est-ce qu’on se mai ? Ioana Wieder et Delphine Seyrig 1976, Centre Simone de Beauvoir
Bibliographie :
- Antiféminismes et masculinismes d'hier et d'aujourd'hui, Christine Bard, Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri (PUF)
- Femme et Folie sous l’Ancien Régime, sous la dir de Marianne Closson , Nathalie Grande Claudine Nédelec, et Ghislain Tranié(Classiques Garnier)
- La ronde des folles, Femme, folie et enfermement au XIXe siècle, Yannick Ripa (Aubier)
- Article “hystérie” dans Feu ! Abécédaire des féminismes présents, (Libertalia)
- Mauvaises filles : incorrigibles et rebelles, Véronique Blanchard et David Niget (Textuel)
- A la demande d’un tiers, Mathilde Forget (Grasset)
- Quatrième génération, Wendy Delorme (Grasset)
- The Gender of sound, Anne Carson
- L’Homme politique, moi j’en fais du compost, Mathilde Viot (Stock)
- Les Années, Annie Ernaux (Gallimard)
- Les Armoires vides, Annie Ernaux (Gallimard)
- Trois femmes disparaissent, Hélèné Frappat (Actes Sud,2023)
Filmographie :
- Où est-ce qu’on se mai ? Delphine Seyrig et Ioana Wieder
- The Magdalene sisters, Petter Mullan
- Mauvaises filles, Emerance Dubas
- Gaslight, George Cukor
- Le web documentaire Mauvaises filles
Remerciements :
Pour préparer cet épisode, je me suis entretenue avec une dizaine de femmes qui m’ont confié leurs histoires, leurs parcours en institution psychiatrique et devant la justice dans le cadre de séparation avec violences conjugales. Je tiens à les en remercier.
Merci aussi à Nicole Fernandez Ferrer et au Centre audiovisuel Simone de Beauvoir pour les extraits de “Où est-ce qu’on se mai”, à Véronique Blanchard, Mathilde Viot, Laurence Rosier, Lucie Fournié, Camille Lextray, Rokhaya Diallo et Julie Mazaleigue-Labaste.
Documentation sonore et musicale : Marion Guilhen, Antoine Vuilloz, Abigail Sanz, Anne-Lise Signoret et Mylène Touchais
Illustrations sonores :
- Léonie Pernet - BO H24
- Mygük - Album Nosferatu, Le Vampire
- Manu Delago _ Album Circadian