La première colonie de l’humanité, c'est le ventre des femmes. Le crime féminicidaire remonte au moins au néolithique et structure toutes les sociétés patriarcales.
Dans ce système, les hommes considèrent les femmes, leurs corps, leurs ventres comme leurs propriétés. L’anthropologue argentine Rita Laura Segato compare le féminicide à une sorte d’écriture, de signature de ces auteurs, sous la forme du “surmeurtre” (overkilling), c’est-à-dire que ces hommes tuent au-delà de la mort, profanent, violent, démembrent les corps de ces femmes qu’ils chosifient. Son travail et ses enquêtes démontrent pour elle “la féminisation de la guerre, c’est-à-dire qu’aujourd’hui les nouvelles guerres se réalisent au travers du corps des femmes. C’est une forme de guerre où l’ennemi est vaincu sur le corps des femmes… en le détruisant, en l’utilisant, en le capturant, en le violant ou en le prostituant.”
Car le féminicide recèle toujours le même message de possession. Qu’il s’agisse dans le cadre des féminicides conjugaux d’une menace pour la conjointe qui souhaiterait retrouver sa liberté (si tu me quittes, je te tue), ou bien encore d’une déclaration de guerre dans les conflits entre ethnies, pays ou cartels : les femmes sont le champ de bataille sur lequel les hommes marquent leur territoire. Mais c’est aussi là où les femmes résistent à l’accaparement de leurs terres, que la violence exercée contre elles est la plus forte, aboutissant aujourd’hui aux nouvelles chasses aux sorcières. Pour la chercheuse étatsunienne Silvia Federici : c’est avec la naissance de la modernité que les femmes doivent renoncer à la propriété de terres pour devenir la propriété des hommes.
Quant à l’historienne Christelle Taraud, elle explique : “Le féminicide n’est jamais un acte spontané. Comme les génocides, ils font l'objet d'une très longue préparation. Il faut donc saisir le spectre de violences qui autorise des hommes à tuer. Pendant très longtemps, le féminicide restait impuni, donc ça acclimatait le droit du propriétaire.”
Un documentaire de Pauline Chanu , réalisé par Marie Plaçais , avec la collaboration Ilaria Castagna
Avec :
- Christelle Taraud, historienne, directrice de l’ouvrage collectif “Féminicides : une histoire mondiale” (La Découverte)
- Yadira Cortes Castillo , militante contre les féminicides à Ciudad Juárez
- Rita Laura Segato , anthropologue argentine, autrice de L’écriture sur les corps des femmes assassinées de Ciudad Juárez et de La guerre aux femmes (Payot)
- Laurène Daycard , journaliste, autrice de Nos absentes. À l’origine des féminicides (Seuil)
- Silvia Federici, universitaire américaine, théoricienne féministe, autrice notamment de Caliban et la sorcière (Entremonde)
- Céline Bardet , juriste et enquêtrice criminelle internationale, fondatrice et directrice de l’ONG "We are Not Weapons of War"
- et le témoignage de Clémentine
Merci à : Milène Legoff de l’Université des femmes de Belgique, Pierre-Guillaume Prigent, Marie Durrieu, Irma Velez, Aliette Hovine, Caroline Conte, Fatima Le Griguer Atig, et à la Fondation des grands brûlés de Bruxelles
Lectures : Valérie Dashwood - Mixage : Manuel Couturier
Bibliographie :
- Féminicides : une histoire mondiale, ouvrage collectif dirigé par Christelle Taraud, éditions La Découverte
- Nos absentes. À l’origine des féminicides, Laurène Daycard, éditions Seuil
- Style, Dolores Dorantes, éditions L’arbre à paroles
- Chiennes de garde, Dahlia de la Cerda, éditions du Sous-sol
- Caliban et la sorcière, Silvia Federici, éditions Entremonde
- Une guerre mondiale contre les femmes, Silvia Federici, éditions la Fabrique
- La guerre aux femmes, Rita Laura Segato, éditions Payot
- L’écriture sur le corps des femmes assassinée de Ciudad Juárez, Rita Laura Segato, éditions Payot
- Norma Jeane Baker de Troie, Anne Carson, éditions de l’Arche
- Le cri du sablier, Chloé Delaume, éditions Léo Scheer
- 2666, Roberto Bolaño, éditions Christian Bourgois
- Ma part d’ombre, James Ellroy, éditions Rivages
- Pax Neoliberalia, Jules Falquet, éditions iXe
- Ce que nous avons perdu dans le feu, Mariana Enriquez, Editions Points
Filmographie :
- Soleils noirs, documentaire de Julien Elie
Liens :
- Conversation avec Christelle Taraud : "Le féminicide est un crime de possession", in The Conversation, novembre 2023.
- Julie Devineau, Autour du concept de fémicide/féminicide : entretiens avec Marcela Lagarde et Montserrat Sagot, in Problèmes d'Amérique latine, vol. 84, n°2, 2012.
- Undeclared war : violence against women : article de Silvia Federici publié dans ArtForum, été 2017.
- État patriarcal et féminicides au Mexique : article de Marie-France Labrecque, in Labrys, études féministes, juillet/décembre 2013.
- "Quand il n'y a pas mort d'hommes." Socio-histoire du féminicide en France (1791-1976) : thèse de Margot Giacinti, ENS Lyon, 2023.