“No humans involved” (NHI), voilà le nom de code utilisé par la police américaine dans les années 80 dans le cadre des féminicides des travailleuses du sexe, des femmes noires ou amérindiennes, pour signifier qu’il ne fallait pas poursuivre l’enquête. Il n’y a que des "mauvaises victimes" mais certaines le sont plus que d’autres.
Les féminicides et l’impunité dont ils bénéficient agissent comme un révélateur de la manière dont les femmes sont hiérarchisées dans la société, selon un idéal de pureté et de chasteté, incompatible pourtant avec l’idéologie patriarcale selon laquelle le désir sexuel masculin est irrépressible et doit trouver un réceptacle, aussi, l’historienne Jane Caputi explique : “La promesse du patriarcat est que tous les hommes puissent avoir accès aux femmes. Selon eux, ils devraient pouvoir avoir des relations sexuelles quand ils le souhaitent. Mais s’ils se retrouvent rejetés par les femmes, alors ces hommes tuent.”
Les minorités ethniques, les travailleuses du sexe, les femmes trans sont les plus exposées à la violence féminicidaire. Car dans cette nécropolitique, les femmes sont distinguées en deux groupes, les “femmes ventre”, les épouses, et les femmes “sexe”. Mais cette distinction est bien évidemment une fiction, puisque les hommes tuent aussi bien les femmes qui se refusent à eux (ce sont les tueries masculinistes), que celles qui dérogent à l’idéal de pureté (ce sont les crimes dits "d’honneur"). Le féminicide est un crime de l’agentivité qui vient sanctionner celles qui résistent, partent, s’engagent, dénoncent, celles qui sont libres, c’est pourquoi Margot Giacinti, docteure en science politique, insiste : “On dit souvent que c'est un crime de l'appropriation. Ce qui me dérange dans le fait de s'arrêter simplement là, c'est que ça empêche de lire les actions des victimes comme étant importantes. On voit aussi dans les archives, en essayant de saisir la parole de celles qui ont été tuées, que les femmes ont agi. Et c’est le fait qu'elles agissent qui va pousser les hommes à tuer”.
Un documentaire de Pauline Chanu, réalisé par Marie Plaçais.
Avec :
-Jane Caputi : historienne étatsunienne, autrice de The age of sex crime
-Francis Dupuis-Déri : Professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), auteur de La crise de la masculinité (Remue-ménage)
-Patrizia Romito : professeure de psychologie sociale à l'université de Trieste, autrice de Un silence de mortes (Éditions Syllepse)
-Margot Giacinti : docteure en science politique, autrice d’une thèse "Quand il n'y a pas mort d'hommes." Socio-histoire du féminicide en France (1791-1976)
-Christelle Taraud : historienne, directrice de l’ouvrage collectif “Féminicides : une histoire mondiale”
-Sylvie Jan : présidente de l’association France Kurdistan
-Anne-Laure Pineau : journaliste, membre du collectif “femmes à abattre”
et le témoignage d’Alison
Merci à Maïwenn Guiziou, Shakiba Dawod, Emmanuelle Walter, Giovana Rincon, Hager Sehili, Florence Torrolion, Jessica Maestracci, Antea Tomicic et le collectif Rouges Putes de Genève, Joseph Andras
Lectures : Valérie Dashwood
Mixage : Manuel Couturier
Bibliographie :
- Féminicides : une histoire mondiale, ouvrage collectif dirigé par Christelle Taraud, éditions La Découverte
- Sœurs volées. Enquête sur un féminicide au Canada, Emmanuelle Walter, éditions Lux Éditeur
- "Quand il n'y a pas mort d'hommes." Socio-histoire du féminicide en France (1791-1976)", la thèse de Margot Giacinti est consultable en ligne.
- Un silence de mortes. La violence masculine occultée, Patrizia Romito, éditions Syllepse
- La crise de la masculinité. Autopsie d’un mythe tenace, Francis Dupuis-Déri, éditions Remue-Ménage
- Au temps des papillons, Julia Alvarez, éditions Métailié
- Un détail mineur, Adania Shibli, Sindbad, éditions Actes Sud
- Qu’est-ce qu’une vie bonne ?, Judith Butler, éditions Payot Rivages
- La servante écarlate, Margaret Atwood, éditions Robert Laffont
- Le cri des femmes afghanes, anthologie établie par Leili Anvar, éditions Bruno Doucey
- 147, rue Lafayette, Enquête sur un triple féminicide, Laure Marchand, éditions Actes Sud
- Nûdem Durak : sur la terre du Kurdistan, Joseph Andras, éditions Ici Bas
- L’enquête "Femmes à abattre" disponible sur le site de Médiapart
Liens :
- Transféminicides : des violences de genre spécifiques ? in Cahiers du Genre, vol. 73, n°2, 2022.
- Trans Murder Monitoring 2023 Global Update : chiffres 2023 des meurtres transgenres dans le monde.
- La rue Eunice Osayande a été inaugurée à Bruxelles, du nom d’une prostituée victime d’un féminicide, à lire sur le site de la RTBF, juin 2023.
- Polytechnique, le massacre qui fascine encore ceux qui ont la haine des femmes : article publié dans Slate, en décembre 2017.
- Polytechnique, 30 ans plus tard : un premier attentat antiféministe, enfin nommé comme tel. Article de Mélissa Blais et Francis Dupuy-Déri publié dans The Conversation, décembre 2018.
- La lutte féministe pour la criminalisation des crimes d’honneur au Moyen-Orient, par Mathilde Penda, Institut du genre en géopolitique, mars 2023.