Podcast

Face à l'immigration

Alain Finkielkraut
Diffusé le samedi, 01 avril 2023 (52 min)


Débat autour de l'immigration aujourd'hui, avec Didier Leschi et Pierre Brochand.


Didier Leschi Directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII)
Pierre Brochand Directeur général de la Sécurité extérieure de 2002 à 2008



   
Provient de l'émission
Répliques

Au programme
  • "Dans un article lumineux, Vérité et politique, Hannah Arendt écrivait : La liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est pas garantie, et si ce ne sont les faits eux-mêmes qui font l'objet du débat". C'est avec cet avertissement en tête qu'Alain Finkielkraut reçoit, pour débattre de l'immigration, Pierre Brochand, ambassadeur de France, ancien directeur général de la DGSE (Direction générale de la Sureté extérieure) et Didier Leschi, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, auteur de Ce grand dérangement : L'immigration en face (Tracts, Gallimard, 2020).

    "Ce n'est pas trahir ses convictions humanistes que de faire le départ entre le réel et l'utopie ; ce n'est pas renoncer à ses idéaux que de prendre en compte ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Il n'est pas de jour qu'un sinistre événement, une image bouleversante, une crise internationale ne nous le rappelle : la question du sort réservé aux migrants est cruciale." Didier Leschi, Ce grand dérangement : L'immigration en face (Tracts, Gallimard, 2020).

    "Combien d'étrangers sont entrés en France l'année dernière, et comment se répartissent-ils ?" est la première question posée, à Didier Leschi.

    “L’année dernière, la France a délivré 320 000 nouveaux titres de séjour. En 2021, c’était 273 000, on voit la progression. Mais dans ces 320 000, il y a une forte proportion d’étudiants, 108 000. Il y a plus d’étudiants qui se voient délivrer un titre de séjour, que l’immigration familiale, en rappelant que dans “l’immigration familiale”, il y a le rapprochement des conjoints de Français, et le rapprochement des conjoints ou des proches de résidents. Dans cette catégorie, c’était 90 000 titres de séjour l’année dernière. On est dans quelque chose d’assez stable au fil des années, aux alentours de 90 000 ces cinq dernières années hors la période Covid. Et puis on a eu une forte immigration de l’immigration économique : 52 000 titres de séjour pour des raisons économiques, avec en particulier l’arrivée de techniciens, ce qu’on peut appeler des “métiers en tension”. Il faut ajouter à ces chiffres 156 000 demandes d’asile, 137 000 en première intention et ce qu’on appelle les “dublins”, à peu près 25 000 personnes qui sont venues après avoir été déboutées dans un autre pays d’Europe. La France est un des pays de “rebond” de ceux qui dans un autre pays d’Europe se sont vus refuser l’asile”. Didier Leschi

    "Les chiffres sont objectifs, c’est une base solide sur laquelle nous pouvons discuter" (P. Brochand).

    "Les chiffres sont objectifs, c’est une base solide sur laquelle nous pouvons discuter. Je ne suis pas un expert de l’immigration, mais en revanche je pense posséder une expérience. Cette expérience, je l’ai acquise, accumulée tout au long d’un parcours professionnel entièrement consacré à l’extérieur, d’abord au Quai d’Orsay puis à la DGSE. A partir de cette expérience, je me suis aperçu au fil du temps, non sans une certaine surprise, que les leçons que j’avais tirées de mon parcours devenaient de plus en plus pertinentes pour l’intérieur des frontières puisque tout simplement par le biais de l’immigration, notre dehors était devenu notre dedans. J’ajoute aussi que cette carrière m’a valu de côtoyer infiniment plus d’étrangers que de Français. Je voudrais donner une présentation plus globale de l’immigration, qui est une forme de diagnostic de l’immigration telle que nous la subissons depuis 50 ans : pour moi, elle est sans précédent historique, elle est massive, croissante, hautement concentrée, cumulative en boule de neige, pilotée ni par l’économique ni le politique mais par les juges, elle très éloignée culturellement puisqu’elle provient quasi exclusivement de ce qu’on appelait autrefois le “Tiers Monde”. Elle est potentiellement conflictuelle donc revendicative, avec des tendances à la divergence au fil des générations. Elle est économiquement dysfonctionnelle, budgétairement coûteuse, impopulaire selon les sondages, et très largement irréversible." Pierre Brochand

    "La question sociale est supérieure à la question du nombre" (D. Leschi)

    “Ce qui est exact est qu’il n’y a jamais eu autant d’immigrés en France au sens de l’INSEE, c’est-à-dire des personnes nées étrangères à l’étranger, dont certaines ont acquis la nationalité française. Ça fait à peu près 7 millions de personnes, dont 2,5 millions qui ont la nationalité française. Depuis les années 2000, on a une progression extrêmement importante de plus de 50% d’augmentation de l’immigration dans la part de la population. Dans les années 1950, on était à 5%. On a doublé depuis les années 1950. Mais l’autre élément qui est à prendre en compte est le changement des origines de ces immigrés, c’est-à-dire que pendant très longtemps, et vous parlez de la seconde moitié du XIXe siècle, l’immigration est un phénomène de proximité, c’est-à-dire des pays européens (...) En 1975, les deux tiers des immigrés sont européens, aujourd’hui ce n’est plus qu’un tiers, c’est le grand basculement, avec la conjonction de phénomènes qui posent des problèmes d’intégration. C’est au moment où on connaît une désindustrialisation de plus en plus forte que l’immigration arrive de plus en plus. C’est pour ça qu’on a eu une immigration familiale qui a supplanté l’immigration de travail. Tout ça finit par poser des problèmes. Aujourd’hui, les problèmes sont de deux ordres : une concentration très forte, on peut penser par exemple à l’Ile-de-France, on a une non-répartition de la charge de l’accueil, et ce qui se passe à petite échelle en France on le voit au niveau de l’Union européenne. Ce sont quelques pays qui concentrent l’immigration du Sud, et encore il faudrait avoir des nuances car nous concentrons plus d’immigration du Sud que l’Allemagne, dans le nombre total des étrangers, avec en particularité cette focalisation sur l’Ile-de-France, ou cette focalisation par exemple dans le logement social. Plus de 30% des ménages immigrés vivent dans le logement social, alors que ce n’est que 13% pour les non-immigrés. (...) C’est ça qui fait la difficulté, cette conjonction entre des personnes qui sont pour beaucoup d’entre elles moins bien formées, parce qu’elles viennent de pays où il n’y a pas d’école, et cette disparition d’emplois industriels était un facteur d’intégration. Donc la question sociale est supérieure à la question du nombre." Didier Leschi

    "L'immigration ne profite pas à l'ensemble du pays, mais à des catégories bien précises" (P. Brochand)

    "Si on se place du point de vue macroéconomique, il y a une loi sur laquelle tous les experts et économistes c’est qu’une immigration n’est profitable que si son niveau moyen de qualification et de compétence est supérieur à ceux du pays d’accueil. Or de toute évidence, ce n’est pas du tout le cas. La plupart viennent de pays du Tiers Monde, qui sont des sociétés défaillantes de tous les points de vue, et où les qualifications de main d'œuvre sont en général très basses. Donc dans ces conditions, si ces immigrés sont moins qualifiés, que se passe-t-il ? L’immigration ne profite pas à l’ensemble du pays, mais profite à quelques catégories bien précises qui sont d’une part les immigrés eux-mêmes, dont le revenu en franchissant la frontière est multiplié par 20, 30 ou 40 par rapport à leur pays d’origine, ceux qui les emploie qui ont sous la main une main d’œuvre taillable à merci, et aussi les pays de départ qui reçoivent des transferts financiers de la part des immigrés qui sont considérables, et dont on ne parle jamais. Tous les autres, à commencer par le budget de l’Etat, y perdent. Pour l’économie en général, l’immigration exerce une pression à la baisse sur les salaires des métiers peu qualifiés, sur la productivité par tête, et donc sur le PIB par tête, sur l’investissement, et aussi sur le taux d’activité et le taux d’emploi, qui sont très inférieurs à ceux de la population qu’on peut qualifier d’autochtones. En revanche, ils exercent une pression à la hausse sur le chômage, qui est le plus souvent 2 à 3 fois supérieur à celui des natifs, sur la fraude sociale qui est due en partie au travail non déclaré, et ensuite, au-delà de cet impact macro, il y a un impact sur le budget. Quoi qu’on dise, quoi que disent certaines personnalités imminentes, l’immigration est très coûteuse pour le budget de l’Etat. (...) La libre circulation et un État providence ne sont pas compatibles, pour des raisons à la fois économiques et politiques. La France est une économie limitée et ne peut pas satisfaire des besoins illimités. Politiquement, car il doit y avoir entre les contributeurs et les receveurs une certaine empathie, confiance sociale, que seule l’appartenance commune à une même Nation peut justifier." Pierre Brochand

    "Il est indéniable qu’il y a des chiffres différents en fonction de ce qu’on fait rentrer dans la charge ou dans les avantages en termes de production de valeur. Il y a différentes questions. Sur le niveau de diplôme, notre problème est la prise en charge d’une fraction de l’immigration qui est peu ou pas diplômée. On a une grande proportion, un tiers d’hommes ou de femmes qui sont peu diplômés. C’est une des caractéristiques de notre immigration par rapport à d’autres pays de l’OCDE. Nous sommes un des pays de l’OCDE avec une immigration qui est en moyenne peu diplômée par rapport aux autres pays, en plus avec les arrivées de personnes venant de pays déstructurés, puisque nous sommes héritiers de notre histoire, où les personnes n’ont pas eu accès à un système de formation performant. Sur la question de la pression sur les salaires, la question se posait déjà à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle. Les libéraux ont utilisé de la main d'œuvre immigrée, qui était européenne, pour faire pression sur les salaires ou pour pourvoir des emplois que la résistance populaire refusait de prendre parce que c’était des conditions de vie qui n’étaient pas correctes, en particulier dans l’agriculture. La difficulté que nous avons spécifiquement par rapport à une partie de nos voisins, c’est cette évolution du profil avec cette arrivée de personnes qui viennent de pays qui sont culturellement éloignés de nous." Didier Leschi

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