Alain Finkielkraut s'entretient avec André Dussollier, bientôt en scène au théâtre des Bouffes parisiens, à Paris, pour un spectacle de poésie qu'il propose, intitulé, Sens dessus dessous. Du crapaud de Victor Hugo au Mot et la Chose de l'Abbé de Lattaignant, en passant par Raymond Devos ou Roland Dubillard, et sous le signe de Sacha Guitry, le comédien évoque un montage de poèmes, le plaisir de dire plutôt que de lire, la joie de donner vie à des auteurs oubliés. Il dit aussi la jouissance du jeu, sans oublier le cinéma enfin, présent aussi dans son spectacle.
"Une fois n'est pas coutume, le chapeau de cette émission a été rédigé par Victor Hugo et dit par André Dussollier. Affiche exceptionnelle. C'est qu'André Dussollier propose un spectacle de poésie à partir du 18 janvier au Théâtre des Bouffes parisiens, et dans ce spectacle, figure le poème qu'on vient d'entendre. Pourquoi ce choix, André Dussollier ?" Alain Finkielkraut
"Ce poème de Victor Hugo qui me suit depuis toujours" (A. Dussollier)
"Il y a beaucoup de poèmes et de textes écrits par des auteurs différents, à des époques différentes. Celui-ci, me suit depuis toujours. Je l'ai trouvé dans un traité pratique de la diction française de Georges Leroy, quand je faisais mes études au Conservatoire d'Art dramatique. Georges Leroy était sociétaire de l'Académie française et enseignait au Conservatoire. Il avait donné ce poème à apprendre à ses élèves. Le poème était formidable pour les apprentis que nous étions, et qui mettait en avant tant le sens que la forme qui était ludique, joyeuse. Il y a à la fois l'histoire, comme souvent chez Hugo qui est là au premier plan, et la forme qui est magnifique". André Dussollier
"Il y a aussi cet autre poème, Le Mot et la Chose, de l'Abbé de Lattaignant, si ludique aussi qu'on a du mal à penser qu'il a été écrit en 1751, dans un esprit très XVIIIe siècle et écrit par un abbé, dont le frère aîné était curé qui lui avait imposé cette charge - alors, être abbé, il n'avait pas le choix, néanmoins à partir de minuit, il passait sa vie dans des tavernes à écrire des poèmes aux dames. C'est à lui qu'on doit cette chanson populaire, "J'ai du bon tabac dans ma tabatière" ou encore, Le Mot et la Chose : Madame quel est votre mot
Et sur le mot et sur la chose
On vous a dit souvent le mot
On vous a fait souvent la chose
Ainsi de la chose et du mot
Vous pouvez dire quelque chose
Et je gagerais que le mot
Vous plaît beaucoup moins que la chose (...)
Et on voit bien où il veut en venir, mais c'est tellement ludique, l'oreille est captée par la sonorité, par le jeu".
"Sens dessus dessous", un spectacle sous le signe de Devos, de Guitry
"'Sens dessus dessous' est un peu un montage de textes et de poèmes qui viennent de toutes les époques. Je me suis amusé à donner quelque chose de cohérent à des poèmes qui ont des genres complètement différents, et c'est un titre que j'ai emprunté à un sketch de Raymond Devos - qui racontait la vie des locataires d'un immeuble et qui commence ainsi : Actuellement, mon immeuble est sens dessus dessous, tous les habitants du dessous veulent habiter au-dessus, tout ça parce que le locataire du dessus est allé raconter par en dessous que... - et qui joue de la sorte avec dessus et dessous. Cela correspond à cet assemblage de poèmes venus de tout temps qui appartiennent à tous les genres. Et ce sketch figure dans mon spectacle. Comme Sacha Guitry qui m'a aidé, par sa légèreté, par sa fantaisie, son 'exquise liberté', qui appartiennent à l'esprit français. Et ca commence par Guitry, et il revient constamment."
Dire plutôt que lire
"Souvent, on invite, et c'est la mode aujourd'hui, des comédiens, à lire. Il y a des textes à foison, des pépites de la littérature française qu'on n'a plus l'occasion de lire, et j'ai envie de les faire vivre. Je trouve que c'est un plaisir de dire. J'ai éprouvé cela en lisant Proust. Dire les choses, c'est à la fois les dramatiser - comme lire Hugo - ou les faire vivre. Il n'y a plus de souffleur désormais, avant il y avait une petite cage à la Comédie française… Il faut se lancer dans le vide. Quand on a un trou, c'est vraiment un trou dans lequel on tombe."
"Il y a beaucoup d'auteurs qui tombent dans l'oubli, les jouer, c'est une manière de les réhabiliter" (A. Dussollier)
"C'est le travail acharné du sens et de la forme ; quand les deux s'associent, ça fait un effet très fort sur l'auditeur. Le crapaud est un des plus beaux poèmes qu'il m'ait été donné de lire."
L'intégralité de l'émission est à écouter en cliquant sur le haut de la page.
Sources bibliographiques :
Robert Redecker, L'Ecole fantôme, éd. Desclée de Brower
*Extrait du poème de Victor Hugo lu en introduction, Le mot (poème paru en 1888)
Aragon, poème, "La Guerre et ce qui s'ensuivit", dans Le Roman Inachevé (1956).